INTERVIEW
de Pascal LAUGIER, réalisateur de MARTYRS
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Est-ce qu'il y a des films d'horreur qui t'ont personnellement choqué ? Le mot “choqué” n’est pas tout à fait juste… Disons des films qui m’ont procuré un tel niveau d’inconfort qu’ils m’ont tourmenté quelques temps, oui, ça, il y en a eu pas mal. Mais je ne dirais pas “choqué”. Car cette sensation d’inconfort, faite d’un mélange d’attirance et de crainte, je la recherchais beaucoup. J’étais prêt pour ça. Adolescent j’essayais de voir les films les plus obscurs, les plus secrets, les plus déviants… L’idée d’un cinema qui sortait des sentiers battus et qui me promettait des choses interdites, des choses que le cinéma de mes parents ne montrait jamais, m’a porté assez tôt dans ma cinéphilie… “Cinéphagie” devrais-je dire, plutôt. Car je consommais tout de façon empirique, dans la plus grande boulimie, dans le plus grand désordre. C’était la grande ère des vidéo-clubs. On louait sans rien connaître… On essayait au coup par coup, attirés que nous étions par les jaquettes, leur couleur, leur flamboyance, les photos au verso, les accroches des éditeurs… On privilégiait évidemment les films interdits aux moins de 18 ans, puisque cette interdiction contenait en elle-même les plus grandes promesses de transgression… Il y a donc eu des expériences très secouantes, mais toutes constructives, foncièrement énergisantes… Je n’ai pas souvenir d’un traumatisme, d’un film que j’aurais regretté de regarder, que j’aurais vu trop tôt. Citons donc, dans les films qui ont laissé en moi une trace très forte : Schizophrénia, La dernière maison sur la gauche, Pyromaniac, Massacre à la Tronçonneuse, Maniac, Don’t go in the Basement (Pascal fait sans doute allusion à The forgotten, 1973), Les Révoltés de l’an 2000… Le seul truc qui ait réussi à me déprimer un peu, sans doute parce que ce n’était vraiment pas ma came, c’était les mondos bidons du genre Face à la mort. Mondo Cane, que j’ai découvert plus tard, c’est assez sublime, c’est une expérience de cinema assez complexe, assez profonde malgré le côté ultra- exploitation, mais les mondos tardifs de mon adolescence, du genre Shocking Asia, c’était vraiment de la merde. L’absence de fiction, le cynisme du truc et sa laideur, ça m’a fait fuir. Aujourd’hui encore, je fais partie des gens qui ne regardent pas les accidents, les suicides et les exécutions filmés sur internet. Ca me fout les boules, ça me mortifie, et ce, sans rien nourrir de mon désir de cinema. Ca n’a pour moi rien à voir avec le genre horrifique. La commission de classification a-t-elle cédé devant les pressions ou a-t-elle compris ton film ? Ni l’un ni l’autre. C’est juste que certains membres
changeant d’une commission à l’autre, on a eu la
chance de voir la décision finale basculer en notre faveur lors
de la dernière plénière. Ca s’est joué
à très peu de voix d’écart. Maintenant, c’est
sûr que la mobilisation de principe autour du film a fait en sorte
que certains des membres les plus ouverts de cette commission ont mis
un point d’honneur à être présents lors de
la dernière projection, afin de mettre toutes les chances du
côté de l’interdiction aux moins de 16 ans. Je les
remercie sincèrement ainsi que tous ceux qui, de près
ou de loin, ont relayé les problèmes rencontrés
par Martyrs. Le soutien n’est pas toujours venu
de là où je l’attendais, loin s’en faut. Mais
la notion de “liberté de création” a encore
un sens profond dans ce pays, ça m’a vraiment touché,
moi qui suis plutôt maussade quant à l’ambiance française
actuelle… Ton film sera téléchargé sur internet et vu par des spectateurs de moins de 16 ans. Qu’en penses-tu ? Rien. Je n’en pense rien. C’est aux parents de gérer
ça. C’est à eux de réguler comme bon leur
semble l’accès de leurs enfants à l’ordinateur
familial… A l'heure actuelle es-tu en mesure de nous dire sur combien de copies sortira Martyrs ?? Impossible de te dire pour l’instant, ce genre de chose se décide
vraiment très tard pour un film comme Martyrs. Il semble néanmoins
probable qu’on soit en dessous des 100. Une interdiction aux moins
de 16 ans est moins sanctionnante qu’un moins de 18, mais c’est
quand même pas la panacée. Ton film est-il plus violent que Saw 3 ? Je n’ai pas vu Saw 3, mais franchement, ta question est un peu bizarre… La violence d’une oeuvre est une chose très subjective… Il y a des gens qui sont sortis de Martyrs dans un état d’indifférence totale et d’autres qui se le sont pris dans la gueule, à deux doigts de chialer… C’est en tout cas ce qui m’a été rapporté… J’ai l’impression que Martyrs ne peut être pris que de façon individuelle… C’est pas un film du genre fédérateur, tu vois ? Et puis, je ne crois pas qu’un film se mesure à l’intensité de sa violence… “Plus gore que machin, moins trash que machine”, c’est un peu étrange comme façon d’aborder le cinéma, même le cinema d’horreur, non ?… Enfin, personnellement, je ne me sens pas super proche de ça. Mais je sais qu’il y a quelques fans qui ne comptent qu’en hectolitres de sang versé… Penses-tu qu'à l'heure actuelle un film d'horreur français
peut avoir le même succès qu'un film d'horreur américain
et pourquoi (pas) ? Les purs films d’horreur américains ne marchent pas beaucoup
mieux en salles en France. Il y a définitivement quelque chose
qui bloque au niveau du grand public. Celui-ci peut aller voir en masse
un film d’horreur maquillé en thriller, du genre Seven
ou Le Silence des Agneaux,
à partir du moment où il y a un gros budget et des stars
au générique pour le rassurer. Mais que ce soit les grosses
franchises horrifiques du genre "Massacre à la Tronçonneuse"
ou "Dawn of the Dead" d’un côté où
les productions indépendantes plus petites comme The
Descent ou 28 Jours plus tard,
franchement, les chiffres ne sont pas mirobolants. Es-tu un fan de films gore (les premiers films de Peter Jackson, les films italiens des années 70-80) ? Le gore en soi, je m’en fous totalement. Pour moi, le sang et les effets spéciaux sont un moyen parmi les autres mis à la disposition du réalisateur pour créer des émotions. Comme le cadre, la lumière, les mouvements d’appareil… Il y a des façons sublimes et des façons médiocres d’utiliser ces outils. Encore une fois, je n’arrive pas à envisager le genre sous l’angle de la quantité de tripaille déversée à l’écran. Quand le gore est soutenu par une vision, par un point de vue inspiré, ça donne Evil dead où L’Au-delà et c’est extraordinaire. Ca crée des images inoubliables, des expériences de cinéma absolument uniques, j’allais dire “primitives”. Mais quand ça donne Premutos, par exemple, je trouve ça d’un ennui mortel. Je préfère regarder n’importe quel film d’auteur français que me taper Fantom killer, si tu vois ce que je veux dire. Evidemment, tout ça n’engage que moi. Qu'est-ce qui te choque le plus dans un film, une scène gore ou une scène de sexe carrément crue ? Pourquoi ? Encore une fois, c’est impossible pour moi de répondre
de façon générale à cette question. Il y
a des scènes de sexe crues qui sont totalement inopérantes,
totalement inoffensives. D’autant plus aujourd’hui où
l’imagerie pornographique est absolument partout. Il me semble
qu’il n’y a rien de moins subversif en ce moment que de
montrer son cul. Tout le monde le fait et le sens de ce dévoilement
me semble perdu depuis un certain temps… Encore une fois, tout
est affaire de point de vue, de façon personnelle de donner à
voir, de donner à ressentir. C’est la même chose
pour le gore. Il semble difficile de faire plus extrême et plus
sanglant qu’un truc comme Murder Set Pieces. Pourtant, le film
ne provoque chez moi qu’un très long baillement. Car sa
violence est sans enjeu, ne crée ni tension, ni émotion.
Le cinéma m’y parait absolument absent. Ca fait bien longtemps
que tout a déjà été montré de l’immontrable.
Le cinéma pornographique est né avec le cinéma
lui-même. Les queues et les chattes ont été filmées
dès que la camera a été inventée et toujours,
seul le talent des cinéastes a fait la différence. Es-tu d'accord pour dire que ton film surfe sur la mode des films d'horreur post-Saw (style Hostel, Turistas...etc) ? Je n’ai aucun problème avec ça, ma cinéphilie s’est fondée sur l’idée même de genre, c’est pas aujourd’hui que je vais renier ça, que je vais prendre la pose. Mon film joue d’ailleurs avec les archétypes du fantastique et de l’épouvante, histoire d’essayer de prendre constamment le spectateur à revers. C’était pour moi une façon de construire mon suspens, de faire du film une énigme dont on a la clef qu’à la toute dernière minute. J’ai vraiment adoré me coltiner les clichés d’un certain nombre de sous-genres, ça a été une grande source de joie sur le plateau. Gérer des créatures, des effets gores, de la pyrotechnie, des scènes chocs, des surprises… Après, tu verras toi-même que Martyrs à sa couleur propre. Ce n’est pas un jugement de valeur, puisque, en tant que fan, j’aime beaucoup Hostel. Simplement, mon énergie à faire Martyrs était sans doute très différente de celle d’Eli Roth quand il faisait son film. Et le résultat n’a rien à voir, je le crois honnêtement. Quant à l’appellation “Torture Porn”, c’est une pure invention de journaliste, un mot déjà démodé qui ne me dit pas grand chose. N'es-tu pas inquiet de voir qu'un film comme Saw 3 soit interdit aux moins de 18 ans en France alors qu'un ado de 14 ans, accompagné, peut très bien le voir au ciné aux USA ? Franchement, j’ai passé quatre mois à ne parler
que de ça, les interdictions, les systèmes de classification,
la censure détournée, etc… Je crois que les gens
intéressés par la question connaissent déjà
ma position sur le sujet. Voire même qu’ils en sont saoûlés
et je les comprends, je me suis saoûlé aussi ! |