C’est vrai : ce film peut paraître longuet aux
amateurs de navets speed et chiants, alors je leur dirais, pour
peut qu’ils comprennent, que c’est une œuvre
d’auteur, expérimentale et emphatique et qu’il
faut donner beaucoup de soit pour l’apprécier,
s’y plonger dedans et n’en plus sortir ; une étude
pointilleuse des comportements extra- et intra-humains. En clair
Lynch a su parfaire une créativité débordante
au travers de personnages loufoques, dont on aimerait bien qu’ils
ne ressemblent qu’au voisin, et de situations incompréhensibles
que l’on ne fait que ressentir profondément. Oui,
vous avez bien lu : INCOMPREHENSIBLE ! Et c’est ce qui
fait toute la force du film : on est totalement immergé
dans un monde inconnu qui, pourtant, par bien des aspects, rappelle
les peurs que nous inspire le notre, urbain, pollué,
manufacturé, difforme. Comment oublier les images du
poulet cuit qui crache du sang en gros plan, la vieille qui
fume clopes sur clopes dans un rocking-chair, l’histoire
d’amour déplacée et maladive et, surtout,
le bébé lombric dont on se demande encore s’il
n’est pas vrai…
Le noir et blanc s’impose pour décrire cette ville
proche d’une métropolis glauque. Les acteurs sont
parfaits dans leur rôle respectif : caricatural et blême
pour le couple, malades et déjantés pour les parents,
saugrenue pour la voisine. Une œuvre complète et
fascinante de part son ambiguité et son incongruité.
Lynch prend déjà partie pour les monstres humains,
métaphore de nous-même, et les place dans un univers
adéquate, le sien. Et la folie de l’auteur éclate
de part en part, au moindre texte, dans la moindre parcelle
du scénario et de l’écran. Et c’est
une main experte qui manie la caméra avec attention afin
de mieux balader notre esprit sur les sentiers chaotiques du
cinéma lynchien. Sordide et magnifique ? Sombre et tordu.
Affreux et attirant. La langue française manque de mots
pour décrire la perturbation qui s’est installée
dans nos âmes à la vue de cette perle du 7ème
art.
Nouveaux éléments d'analyse :
Une planète, un trou -trou sombre, d'eau, de lumière-,
un homme d'apparence malade qui manipule d'étranges leviers
; et les images de s'enchaîner.
Un espace urbain sale, labyrinthique (Labyrinth man étant
le 1er titre du film), industriel, souligné de noir &
blancB, souvent dans un silence assourdissant ! Quand les bruits
ne se font pas purement mécaniques.
De l'univers à venir de David Lynch on retrouve déjà
les parterres hypnotiques, les rêves, les radiateurs,
les chanteuses scéniques & les chansons obsédantes
s'il en est... et des éléments de décor
incongrus (ces plantes sans pot ni feuilles).
Le film -poème cinématographique- peut être
vu comme une critique de cette industrialisation à outrance
déteignant sur l'espèce humaine, sur son caractère,
sur sa progéniture, sa "normalité",
usant jusqu'à sa matière grise ; même si
Lynch décrit des être très humains dans
leurs caractéristiques quotidiennes (difficultés
de s'occuper d'un bébé, les dîners de famille,
la place que l'autre prend dans le lit...etc), il métamorphose
tout cela en cauchemar, en pervertissant ces actes banals. Il
y a constamment un malaise induit par ce film, par ses visions
éprouvantes, et celui-ci s'achèvera en un cauchemar
bruyant, définitif et particulièrement éprouvant.
Le genre de film dans lequel on peut plonger, replonger des
dizaines de fois sans user notre vision, avec toujours de nouveaux
éléments d'analyse... Un film fabriqué
à partir de sensations.
NOTE : 19-20 / 20