Attention : ceci est une critique un peu spéciale (mais
sans spoiler). Souvenirs. J'ai donc laissé ma saga favorite
il y a 10 ans, la larme à l'oeil au sortir d'une avant-première
mémorable (et oui : j'adore l'épisode
3 !), mais avec l'espoir que papy George ne laisserait pas
tomber (la poule aux oeufs d'or) ses fans. N'oublions surtout
pas que ce "Réveil de la Force" se déroule
plus de 30 ans après un certain Jedi,
et pas moins de 38 années après le tout premier
épisode... et ce au terme d'un intermède qui n'a
pas forcément fait l'unanimité.
Sachez par ailleurs, chers (ères) lecteurs (trices),
que je prétend fièrement être un fan hardcore
de la célèbrissime saga intergalactique dans le
sens où je fus un collectionneur compulsif, où
il fut un temps où je connaissais toute l'histoire et
nommais par son nom le moindre caillou apparaissant dans la
saga originelle (en tant que webmaster de "Star wars secret
files"), où j'ai arrété de compter
le nombre de fois où j'ai vu chacun des épisodes,
où la saga débutée à la fin des
années 70, celle de mon enfance, reste ma préférée
et, enfin, dans le sens où les 2 premiers épisodes
font définitivement partie des plus grands films de l'histoire
du cinéma. Rien que ça ! J'aborde donc ce film
avec l'intime conviction qu'il est d'ors et déjà
impossible de retrouver toutes les sensations premières
éprouvées lors de mon baptème du feu, à
la vision de La guerre des étoiles
: celle qui m'a rendu fou de cinéma et de science-fiction,
et m'a métamorphosé en geek assumé. Dans
ce contexte avouez qu'il est difficile, même pour un cinéphile
averti tel que moi, d'effectuer une critique dans sa plus complète
objectivité... Et pourtant...
Et pourtant me voilà revenu comme 35 ans en arrière,
le regard un rien naïf, rempli d'émotions intenses
et incoercibles, depuis les toutes premières notes de
musique du générique introductif jusqu'à
l'apparition de chacun des personnages de la saga originelle
; et ce jusqu'à la toute fin. Une larme à chaque
fois. C'est un film qui de toute évidence joue à
fond sur la corde sensible de ses plus vieux fans, parlant avant
tout à leur coeur, à leurs souvenirs et à
leurs sentiments... Abrams avait en fait deux choix possibles
pour aborder une telle entreprise : repartir à zéro,
faire table rase de l'histoire de base et risquer de perdre
la moitié de l'audience (voir plus !), ou poursuivre
sagement la saga, de façon respectueuse et sincère,
mais en introduisant... autre chose. Il a préféré
la seconde solution et je pense qu'il a fait le bon choix, même
si l'exercice était délicat et le résultat
peut-être imparfait mais vibrant d'amour (après
plusieurs visons les quelques doutes s'estompent...).
Mais rentrons dans le vif du sujet : le film. Il avance constamment
sur un fil tendu sans ne jamais tomber -bien qu'il trésaille
maintes fois-, il est comme une espèce de transition
qui reprend les marqueurs de chacun des premiers épisodes
des deux précédentes sagas, mais choisi clairement
son camp : son modèle absolu restera la trilogie originelle,
rampe de lancement idéale pour ses nouvelles ambitions.
Si l'hommage peut paraître trop appuyé -et il l'est,
sans pour autant me déplaire-, il reste toutefois plus
dans le tricotage des détails que sur les points les
plus essentiels de l'intrigue, plutôt dans les clins d'oeil
appuyés et assumés (Cf. la nouvelle "Tatooine",
l'arrivée de Kylo Ren et son style, le droïde messager,
le village brûlé, la transmission du sabre laser,
les deux trouvailles dans le Faucon, la nouvelle Cantina, le
QG des rebelles, l'attaque sol / air de l'arme...etc). C'est
donc bel et bien un film en équilibre auquel nous avons
affaire, destiné en priorité aux fans de la première
heure, mais laissant clairement, et c'est un choix judicieux,
les plus jeunes prendre le même train que leurs ainés
afin de retrouver toutes les sensations d'origine : on se souviendra
que la qualité du tout premier Star wars tient tout simplement
du miracle, miracle que se réapproprie J.J.. En équilibre
constant, donc, imparfait ou plutôt instable, certe, mais
sur une trame dont le coeur permet au film de trouver de tout
nouveaux axes (notamment les nouveaux héros, les bad
guys, une nouvelle intrigue), axes incluant des thématiques
existantes, marques de fabrique de la saga : les relations de
famille, l'histoire du personnage sans importance qui va connaître
une destinée extraordinaire, la lutte contre le totalitarisme,
la lutte intérieure contre son ego. C'est une oeuvre
qui est moins littéraire qu'émotive, moins librement
scénarisé, laissant la magie, le simple plaisir
d'une réunion de famille, de retrouvailles entre de bons
vieux copains opérer. Dernier point : comme les autres
films de la saga, plus particulièrement ceux de la trilogie
originelle sans doute, ce film est déjà lourd
d'une histoire, d'un passé, et on sent que l'on reprend
le cour de cette histoire : C3PO a vécut des aventures
que l'on ne connaît pas (Cf. son bras rouge) et le couple
Han / Leia en a vécut d'autres et s'est même séparé
; et tout cela génère une force dramatique liée
à ce sentiment d'inconnu exceptionnelle...
Voici cependant mes minces réserves : il manque sans
aucun doute un bon brin de génie scénaristique
derrière tout ceci, le film ne se détachant pas
assez tôt de son modèle (si vous voyez ce que je
veux dire...) ; le principal méchant est assurément
trop esquissé -le film est un peu court- malgré
son importance capitale (le génial A. Driver, tout en
retenue) et on notera un petit manque de mystère (quoique
tout n'est pas encore clairement dit...). Mais je trouve également
qu'une petite faute est commise dans le choix de l'arme du Premier
Ordre, faute inutile qui laisse cette mauvaise impression de
"copie", et je pense que l'on y trouve quelques facilités
héroïques dans le scénario, comme une espèce
de classicisme trop bien huilé. Pourtant tout cela ne
m'a pas gêné le moins du monde et Abrams est assurément
conscient de ce qu'il nous propose : il suffit d'analyser la
scène qui répond à la libération
de Leia dans l'Etoile Noire pour s'en persuader. Ce film est
un tout et, je le répète, l'émotion supplante
facilement le reste. D'ailleurs les acteurs trouvent très
rapidement leurs marques, on embarque dans cette aventure absolument
gigantesque et honnête sans tiquer, retrouvant l'humour
frais et cher à la saga, et surtout à Solo. L'oeuvre
est de toute façon très clairement centrée
sur ses personnages, leur présentation et diverses interactions,
laissant l'histoire en toile de fond pour mieux mettre en avant
ces retrouvailles, présenter les petits nouveaux et leur
multiplicité. La réalisation s'adapte parfaitement
et nous met également tout de suite à l'aise :
une maîtrise parfaite pour une intégration parfaite
des différents effets, comme une synthèse idéale
de ce que l'on a vu dans les 6 épisodes précédents.
Abrams s'avère par ailleurs être un bien meilleur
réalisateur que Lucas : plus fluide, moins raide, anticipant
brillamment les mouvements de ces personnages pour leur donner
de l'ampleur et de la grandeur à son récit. Difficile
dans ce cas de ne pas céder au plaisir coupable face
à ce qui reste un habile placement de jouets ; un immense
plaisir de geek.
On retrouve ici, et pour ma part, l'essentiel : l'esprit un
rien perdu dans la plus récente saga de Lucas, un retour
aux sources pour un film à mon sens équilibré
et qui se devait de passer par cette réadaptation de
l'audience ; Abrams aurait difficilement réussi son pari
en empruntant le même chemin que Lucas sur la saga des
90's-2000's : se disperser, laissez une imagination sans borne
noyer le poisson et finir par perdre un peu le spectateur sous
les innovations, avec comme prétexte -louable je l'avoue-
de nous présenter une époque plus fastueuse qu'elle
ne le sera au temps de l'Empire. Je vois plus ce "Réveil
de la force" comme un vibrant enseignement aux nouvelles
générations, un nouveau départ en douceur
plutôt que comme une copie simpliste et sans âme
: il y a trop de nouvelles choses à explorer désormais.
N'oublions pas que Star wars s'inspire des serials de cinéma
(Flash Gordon) et le passage de relai via un réalisateur
/ scénariste / producteur de séries TV me parait
tellement logique.
Finalement J.J. Abrams a suivi la logique du père de
la saga : La réussite de Star wars, et son très
large succès autant critique que public, cinéphiles
ou non, repose sur ce melting pot culturel aussi intelligent
que formidablement digéré ; L'Illiade, Oedipe,
les diverses religion orientales, Eros & Thanatos, Jonas,
la seconde guerre mondiale, le western, le film de samouraï,
les chevaliers de la table ronde, les religions occidentales...
etc, de même, pour la structure interne du récit
issue de l'analyse de l'oeuvre de J. Campbell, sur l'étude
des mythes. Abrams a fait exactement de même avec un nouveau
mythe : celui engendré par Star Wars !!! La boucle est
bouclée.
Je terminerai en rappellant une chose essentielle : les chefs-d'oeuvres
ne sont jamais des films parfaits... puisque les films parfaits
n'existent tout simplement pas !
NOTE : 17-18 / 20