Le parfait croisement entre Fight
club et 1984... 1984 ? C'est
effectivement un film de science-fiction parce qu'il évoque
un futur très proche, mais bien plus ancré dans
la réalité d'aujourd'hui (quoique...) que le roman
d'Orwell (rien, visuellement ne le différencie d'une
oeuvre tournée avec 1 million de $ en poche), plutôt
comme un miroir déformant, en tout les cas pas de la
SF comme on l'entend habituellement. C'est également
une oeuvre proche de la perfection, griffe, semble-t-il, des
frères Wachowski
(Matrix), qui est exactement entre
le film hollywoodien (sa large diffusion, ses décors,
un peu de baston, d'action, d'effet pyro... mais à petite
dose) et le véritable film d'auteur, intellectuel, réflexif,
raffiné, qui ose philosopher.
Le film est totalement ancré dans la réalité
; dans le contexte mondial, voir américain, actuel, il
est hautement provocateur et borderline... L'histoire : dans
l'Angleterre de Guy Fawkes, pays à la croisée
de tous les chemins sur une mappemonde, à cheval entre
l'Europe et les USA, géographiquement et politiquement,
on évoque un régime totalitaire et ses nombreuses
exactions. Les mensonges d'état et la désinformation
officielle (USA), les camps d'internements (Guantanamo ainsi
que les camps de concentration nazis, russes ou serbes), l'extrémisme
politique sous couvert de mensonges (France), la main-mise sur
les médias (Italie), la politique de la peur (partout,
les présidents se sont fait réélire sur
ce principe), la toute puissance du chef de l'état (style
: un président qui se soustrait à la justice...),
la répression policière (le 20ème siècle
en est émaillé !), tout y passe, fondu dans un
scénario bétonné.
Quelles solutions nous propose V ? Son message est on ne peut
plus clair : c'est l'intelligence et la réflexion (liées
à l'information et aux médias, que s'appropriera
V) qui sont les principaux garants de notre liberté,
de nos démocratie fragiles ; la réflexion sur
la place de l'art (moyen d'expression interdit par la censure
dans tout régime autoritaire) et son utilité première
est à ce titre aussi originale que juste.
Et V est avant tout un personnage hors-norme : quand les flics
et les politiciens sont des gens moroses et fort grossiers,
V est poète, esthète, philosophe et érudit,
dans un scénario dialogué à la perfection
; son visage est éternellement candide et perpétuellement
souriant. Il est par ailleurs le fruit de ce régime totalitaire,
sorti tout droit de l'enfer qu'ils ont eux-mêmes créé,
une espèce de Monte Cristo moderne, un archange sans
nom, sans identité, et dont le mystère restera
entier, à juste titre. Il n'est pas plus un terroriste
(définition étatique d'une violence dite illégitime
car dirigée contre un gropuscule politique ; revoir à
ce sujet Orange mécanique)
que Gandhi ou Martin Luther King, pas plus que les résistants
de la seconde guerre mondiale face à Hitler. D'autres
y verront un anarchiste, surtout lors d'une séquence
qui répond à une scène de Fight
club (la "fabrication d'un(e) soldat de la liberté
; où quand il faut se battre pour pouvoir être
libre) pourtant, avant d'être effectivement libertaire,
il est un défenseur avoué de la démocratie.
Voilà pour tout le côté "intellectuel".
Le scénario n'est pas en reste -passons sur la performance
irréprochable des acteurs-, bondissant en Diable, on
ne s'ennuie par une seconde, apportant régulièrement
une pierre irremplacable à l'édifice filmique,
explorant toutes les facettes de son sujet (plus la liberté
que la vengeance, ce dernier étant un argument de vente
pour Warner) ; surprenant comme l'enquète policière
qui sert de fil d'Arianne au portrait qui est brossé
du personnage et de la société ; rebondissant
quand aux surprises qu'il sait réserver, au ton libre
qu'il arbore (éminemment satyrique) ; émouvant
comme cette histoire d'amour aussi platonique qu'impossible,
en filligramme, vibrante, ambigue comme le film et à
fleur de peau ; enfin, grinçant et rentre-dedans, à
l'image de ces policiers molestés par notre héros
car obéissant à l'ordre qu'il réprouve,
à l'image de ce prêtre bizarrement pédophile,
à l'image de la fin de ce chef d'état, trahi par
sa propre corruption. Je lui octroierai également un
montage plein d'éloquence et l'utilisation adéquate
des premiers / arrière-plans (on adapte un comics) qui
prouve que la réalisation n'est pas aussi fade qu'elle
ne fut décriée.
Une oeuvre provocatrice comme il est rare d'en voir, certaines
phrases résonnant étrangement ("les bâtisses
que l'on abat peuvent changer la face du monde"), qui tire
le signal d'alarme de nos sociétés au bord du
chaos ; pas un appel au terrorisme (celui d'intégristes
qui haïssent la liberté), mais un cri sensible et
émouvant, un cri pour que les peuples à peu près
libres que nous sommes se réveillent un peu plus souvent
et ne laissent rien passer s'il ne veulent pas se lever un jour
dans un monde où il est déjà trop tard...
et qu'il faille en arriver là. Méditation.
Son défaut ? Il ne résiste pas assez à
de multiples visions, la faute, je pense, à la partie
"enquête" quelque peu trop mécanique.
Power to the people.
NOTE : 17 - 18 / 20