Where is my mind : mais où sont donc nos pauvres références
?
En effleurant le film on trouvera un peu de "Docteur Jekill
et Mr Hyde" pour la schyzophrénie aiguë, un
peu de Crash pour
le développement d'un sado-masochisme libératoire
(mais, ici, à but sociologique et non pas sexuel) et
de Matrix, pour
le souffle intense de révolution qui souffle sur le scénario
par le biais d'une ouverture de notre esprit à la réalité
; plus ancré dans le réel et plus trash. David
Fincher se révèle pleinement en maître d'orchestre
de grand génie : ses plans renversants et signifiants,
son découpage à l'intelligence foudroyante, l'utilisation
de couleurs chair et "pourriture" qui démontrent,
comme pour mieux signifier ce que nous sommes : de simple corps,
des tas de viande, de graisse et de sang (que l'on voit enfin
à nouveau couler) qui ont oublié à quel
point ils possédaient également une âme,
une personnalité. Une liberté intrinsèque.
Voici un choc d’images qui soutient un propos des plus
ambitieux, aussi excitant que délicieusement ambigu (chose
devenue tellement rare dans le cinéma…), en tous
les cas suffisamment pour nous interroger à chaque séquence
: car il y a une idée à creuser dans chaque plan,
chaque dialogues, chaque énoncés de Fight
club. Il puise dans le matériau d'origine créé
par Chuck Palaniuk, auteur qui a osé gueuler tout haut
ce que tous les vrais libertaires du monde chuchotent entre
eux. Et avec un humour des plus décapants s’il-vous-plait.
Fight club est en réalité un
immense défouloir aux idées abondantes (cf. le
listing détaillé ci-dessous) qui vont toutes se
résumer dans ce véritable happy end (après
100 ans de cinoche ça fait quand même du bien !)
dont la révélation en laissera plus d’un
sur le cul ! Une œuvre qui va vous hanter des mois, des
années après sa vision, et qui ne vous lâchera
plus grâce à la finesse de son questionnement,
ses réflexions pertinentes et les discussions qu'elle
pourra générer à loisir. Une œuvre
à part et un chef-d’œuvre incontestable, impérissable,
indémodable. Grandiose. Unique.
Fight club se veut être une analyse
abondante de notre bonheur indécent, bourgeois, ultra
confortable, sûre et sans danger véritable, matériel,
paraissant plus important que tout. La plus juste, puissante
des critiques d'une société de consommation déjà
en pleine agonie : "Les choses que l'on possède
finissent par nous posséder". Et je pleure encore
de joie à chaque fois que retenti "Where is my mind"
et que...
Six thèmes d’exploitation qui pourraient, chacun,
donner matière à six films :
- Le Fight Club : des hommes qui se battent sans raison
(ni haine, ni gloire; ni argent) si ce n’est pour se prouver
par la douleur qu’ils existent, que ce sont des hommes,
des êtres humains. C’est une thérapie physique
et morale contre l’ennui d’une société
normalisée, asceptisée, technocratisée,
médiatisée et fausse : où l’homme
n’est qu’une image, la violence qu’un miroir
télévisuel, où seul compte le pognon, où
il n’y a plus des individus mais une masse homogène
avec une pensée unique et globalisée…. Le
fight club est l'ultime expression du désir d'auto-destruction
de l'homme et tout à la fois une étude pointilleuse
de cette masculinité perdue, à travers un véritable
exutoire à notre consumérisme mou. Une violence
juste, rendue avec force et brio.
- La fabrique de savonnettes : la graisse qui est évacuée
des corps bourgeois bien trop et inutilement gras est recyclée
en savon, afin que ces mêmes personnes se nettoient avec
leur propre merde, leur propre surplus corporel. Comme ils ne
suent plus, ne se tuent plus au travail, il faut bien suer sur
la table d’opération et le fruit de leur effort
ne sert plus à se nourrir mais à se rendre encore
plus propre physiquement ; et ils sont prêt à payer
pour cela. Les riches ne sont regardant ni moralement, ni physiquement,
leur apparence est plus importante que tout le reste ; ils sont
la quintessence du consumérisme aveugle.
- L’idéologie : à tendance fortement
gauchiste. Un cri du cœur qui sort de chacune des phrases
lancées par Tyler sur la nouvelle condition de l’homme
(les divorses, la pub, l’identitée informatique,
la révolution…) et la façon de s’en
sortir en abandonnant notre mode de vie bourgeois, lisse, et
en redevenant enfin nous-même, oubliant le superflu, l’absurde,
le faux, oubliant de copier les images toutes faites que nous
renvoient de nous les médias.
- Les milices : une authentique armée anarchiste,
presque sans chef, ni loi, ni ordre. Elle grandira comme une
toile d’araignée, tentaculaire, et réduira
nos efforts de pseudo-civilisation à néant. Chaque
corps fonctionnant en totale autonomie ; Tyler crée l’armée
et ses concepts, et l’armée agit en son nom, il
en est le gourou spirituel, le messie qui a simplement ouvert
les yeux de ses disciples. Ils obéissent à l’idéologie
et non plus à l’homme.
- La double personnalité : inconsciente d’abord
puisqu'imaginée suite à un manque grave de sommeil
("Avec l'insomnie, plus rien n'est réel"),
peut-être à partir d’un personnage réel
croisé dans un avion, puis développée,
étoffée au fur et à mesure que le personnage
lâche prise... Elle représente les pulsions, la
face sombre de nos désirs, nos « naturalités
», elle est ce que tout un chacun combat pour ne pas sombrer
totalement dans la folie, dans la violence, le terrorisme. Elle
est également notre Moi profond, freudien, celui que
le personnage va combattre tout en sachant qu’il lui correspond
en tout point, qu’elle est une pulsion naturelle de défense
contre sa socialisation forcénée et inhumaine.
L'expression inconsciente d'une... conscience.
- La scène finale : il est redevenu lucide mais
a, finalement, tout fait sauter… Il va pouvoir repartir
à zéro sur des bases saines, tout comme le monde
moderne, avec sa nouvelle Eve. Il a recréé l’Apocalypse
biblique en faisant sauter les banques de données des
cartes de crédit, détruisant l’homme en
tant qu’identitée électronique et numérique,
numéro informatique, en lui rendant son humanité.
Dans son malheur (sa rencontre avec son côté le
plus obscur) il trouve le réconfort d’une idéologie
accomplie.
Fight club est devenu pour moi la Bible du
7ème art : car on trouve absolument tout ce dont on a
besoin pour avancer dans notre cinéphilie...
NOTE : 19-20 / 20