Un événement : l’invention d’un nouveau
code visuel appliqué aux combats et inspiré d’Hong
Kong : arrêts sur images et caméra volatile, les
ralentis forcés, la maîtrise enfin totale de l’espace,
l’anéantissement de l’apesenteur ("Bullet-time
photography"). Mais le film n'est pas seulement et platement
une belle oeuvre pour les yeux : chacune de ces scènes
époustouflantes est crédibilisée par un
scénario brillant en tout point. Par le biais du virtuel,
l'histoire détruit la diégèse du film afin
de réinventer la réalité, d'inventer sa
propre réalité et de devenir parfaitement crédible.
Les frères Wachowski entrent dans la légende et
prouvent que l’on peut scotcher un spectateur avec brillo
et intelligence, digérant, assimilant à la perfection
leurs diverses influences artistiques : mangas déjantés,
cyberpunk dans son essence, western en hommage, kung fu et tant
d'autres. C'est tout autant un film religieux (écoutez
bien le vocabulaire employé par les personnages). Ajoutez
une photo quasi noir et blanc, matinée de couleurs pâles,
grises / verdâtres, et vous optenez l’emballage
parfait.
Ensuite, outre la narration empruntée aux jeux d’arcade
-encore une influence intégrée divinement-, l’histoire
avance au gré des dialogues et grâce à un
thème développé en profondeur : est-on
capable de voir la réalité qui se cache derrière
les apparences, les images ? Qu’elle est-elle, qu'est-ce
que le réel, ce que je vois, je crois ou bien ce que
mon voisin voit, croit ? Matrix nous intime
l'ordre de prendre garde à faire attention à ce
que l’on nous impose comme vérité (devenant
alors réalité) –une image, des codes, une
normalisation, la monotonie, le silence, des informations, des
idées-, à ce qui passe pour officiel et irréfutable.
En ce sens la fin est carrément révolutionnaire…
Si le thème peut paraître à la mode (cf.
« Existenz » ou «
Truman show ») il en ressort
grandi car glauque, noir, déprimant, approfondi, très
philosophique et se targuant de rester encore d'actualité
pour longtemps. Le scénario est complexe à souhait,
suffisamment pour préter à la réflexion
longtemps après la vision du film (ramification, langage,
monde duale, interaction). Quand à la violence…
elle est parfaite d'intelligence.
NOTE : 19-20 / 20