Je crois en toute honnêteté que ce type n’a
que des chef-d’œuvres à son actif… aussi
incroyable que cela puisse paraître. Tant mieux pour nous
! Il faudra de bien multiples visions cinématographiques
pour apprécier totalement la densité et l’intelligence
d’une telle œuvre. Saluons tout d’abord la
fidélité de l’adaptation : authentique,
linéaire et sensible, mis à part l’intro
et la conclu mais de façon totalement raisonnée.
Mettons les choses au clair : oui, ce film est extrêmement
violent. Pourquoi ? Pas de sang, de coups, d’explosions,
de gros mots… pas de violence visuelle et graphique sans
intérêt ni traumatismes possibles. En fait chaque
scène de ce film comporte son lot de violence, psychologique
et intellectuelle, et ce jusqu’à l’apogée
insoutenable de son traitement (la scène de viol en musique
et chanson n’est pas mal non plus…). Mais il faut
comprendre que la violence n’est pas toujours celle que
l’on voit, que l’on croit (l’acceptation politique
de la violence à la fin fait bien plus froid dans le
dos que n'importe quel film dit "d'épouvante").
Les décors sont violents de par leur graphisme, leur
blancheur contrastante avec l'ambiance oppressante ; la musique
de Beethoven rend chaque séquence violente de par ce
même contraste (un morceau de hard-rock et la violence
devient acceptable). La scène de baston est la seule
exception à ses règles : totalement allucinante,
irréaliste, filmée de façon vive et cut,
pas de musique, que le bruit des coups portés, tout décor
ne servant qu’à être détruit sur le
crâne d’un ennemi, le tout chorégraphié
par un Gene Kelly de la baston ; un peu à la manière
d'un film de kung fu. Graphique mais réaliste, surréaliste,
voluptueux et… sans souffrance, avec un certain plaisir
même. D'où la violence intuitive de la séquence.
Lorsque cette même violence s’efface c’est
au profit du sexe, le second pôle de la nature humain
(Eros & Thanatos), et tout y passe : femmes nues, partouzes
en accélérée, viol, branlette, objet d’art
aux formes inspirées : une vision de la psyché
humaine concentrée sur 2 heures !
La morale de l’œuvre ? On nous parle de socialisation
forcée pour sortir l’homme de son état naturel
de violence et le contrôler, le sortir de ce chaos social
et on pose la question aux spectateurs : peut-on neutraliser
la violence de l’homme ? Peut-on se soigner de la violence
? Kubrick répond par la négative : depuis le chaos
du monde, notre narrateur passera par la rigidité légale
de l'enfermement, la moralisation de la religion et les soins
étatiques. Mais le théorème du film est
que la violence n'est que le fruit d'une société
décadente (Le monde futuriste est dominé par le
sexe, il est enduit de crasse, de pauvreté, il est vicié)
; cette violence sociale entraîne la violence d'état,
seule violence légale, la seule qu'il "nourrit"
-au sens propre !- volontier. Une société est-elle
envisageable sans violence ni pulsion ? La violence a-t-elle
son utilité, ne serait-ce que par choix ? Outre le fait
qu'il est clairement mis en avant dans sa construction en parallèle
du scénario que l'acte de violence finit toujours par
se retourner contre soi, il est surtout évident que l’état
choisira au final de ne pas "soigner" l’homme,
utilisant sa violence naturelle pour satisfaire ses propres
besoins (la guerre, l'utilisation de la police…). Un vrai
cours de philo, mais en bien plus intéressant !
Enfin, si ce genre de film trop personnel, trop violent, trop
sexuel, trop ambitieux, trop intelligent, trop étrange
ne vous plait pas il vous reste la qualité de la balance
musicale et son utilisation appropriée, la beauté
de la réalisation, la vision de l’œuvre (bien
en avance sur son temps), le jeu des acteurs et, enfin, la richesse
de ce nouveau vocabulaire que l'on intégrera très
vite. Un chef-d’œuvre immortel que seuls les plus
obtus et rétrogrades n’ont pas compris : les mettre
face à leur propre réalité de pensée
les a peut-être bien mis mal à l'aise...
NOTE : 19-20 / 20