N'y allons pas par quatre chemins : je suis sorti tétanisé, 
                  déboussolé, estomaqué, bouleversé, 
                  ému par ce film. Car après sa vision je me suis 
                  clairement dit qu'il y avait un Joker qui sommeillait en chacun 
                  d'entre nous ; pour un peu que la société ne parvienne 
                  pas à guérir l'un de nos maux, pour un peu que 
                  cette dernière dérape, se trompe virulemment... 
                  pour un peu que...
                  Les bien-pensants sont tombés à corps & âme 
                  perdus sur la violence inhérente du Joker. Mais la lecture 
                  de ce film me laisse plutôt et même clairement envisager 
                  que c'est bel et bien l'analyse de la violence sociale qui est 
                  au cœur de tout, et que c'est elle, et à juste titre, 
                  qui est sauvagement pointée du doigt par les auteurs 
                  de ce brûlot social sans concession.
                  Car c'est moins un film politique -je rejoins à ce propos 
                  le réalisateur- qu'un film social décrivant un 
                  monde devenu malade à cause de sa trop grande richesse, 
                  une civilisation au bord d'une implosion violente, une société 
                  qui crée des monstres à partir du moment où 
                  elle laisse tout un pan de ses citoyens sur le bord de la route, 
                  à partir de l'instant où elle n'accepte plus la 
                  moindre différence (la normalisation par l'argent, la 
                  réussite et la beauté physique : regardez ce qu'il 
                  adviendra du nain...), ne l'intègre plus comme une constituante 
                  humaine, simplement humaine.
                  Le Joker n'est que le fruit d'une société souffrant 
                  de son propre inhumanisme, le Joker n'est qu'un simple miroir 
                  de ce mal. De la même manière qu'un enfant battu 
                  a de grandes chances de devenir un père, ou une mère, 
                  pétrit de violence envers sa progéniture. Joker 
                  n'en est pas la cause mais le média, même si d'autres 
                  paramètres -psychiatriques notamment- viennent un temps 
                  brouiller les pistes : n'oublions pas le rôle des services 
                  compétents (et donc, cette fois, de la politique) dans 
                  le drame de cet homme ; même si cela n'excuse pas son 
                  comportement... Reprenenez le cour du film à sa sortie, 
                  changer un seul paramètre (l'argent mis dans les services 
                  sociaux) et il y a de grandes chances que vous modifier toutes 
                  les données de l'histoire à venir, que le film 
                  devienne quand même assez politisé malgré 
                  tout, puisque tout se décide via la politique. Le scénario 
                  osera alors la question : qui du "héros" ou 
                  de ce monde est en pleine décrépitude ? Lequel 
                  des deux s'avère être le plus violent ? 
                  Arthur Fleck se cache derrière un rire frénétique 
                  -maladif ?-, une solitude âpre qui constituera l'un des 
                  enjeux majeur de son changement de "personnalité", 
                  un puissant et inexorable besoin de reconnaissance de la part 
                  d'une société individualiste et anonyme. Reconnaissance 
                  que lui donnera le crime, meurtre de 3 yuppies bien propres 
                  sur eux et symbole social de la réussite, qu'il ressentira 
                  comme un acte de justice ; alors il ne subira plus jamais et 
                  prendra les devants. Jusqu'à ne plus monter péniblement 
                  ces escaliers, comme la parabole de son parcours de vie chaotique, 
                  mais les descendre en dansant. Arthur restera cependant prisonnier 
                  de son mal intérieur, de son passé, ne trouvant 
                  le réconfort que dans le rêve... jusqu'à 
                  ce que la réalité le rattrape. Présent 
                  dans quasiment tous les plans du film, Arthur devient peu à 
                  peu psychotique derrière son physique ingrat, écoeurant, 
                  rachitique, malingre, et pourtant il se dégage de lui 
                  une incroyable empathie, celle que le peuple trouvera également 
                  en sa personne. Empathie, pitié qui nous prend par la 
                  main, nous emmène subtilement dans sa folie, nous y enfonce 
                  par strates pernicieuses, parfois anodines, parfois même 
                  sans que l'on ne s'en rende réellement compte. C'est 
                  simple : cette main nous serrera progressivement le cou dans 
                  la somptueuse et dernière demi-heure, pour ne plus nous 
                  lâcher. Jamais. Tétanisant vous dis-je...
                  Joker n'est pas un monstre, simplement le monstre créé 
                  par une société psychotique. Joker n'est pas né 
                  fou, il n'est que le fruit d'une vie de haine, de violence et 
                  de malheurs. La maladie que l'on découvre au début 
                  du film, n'est-elle finalement pas le seule signe de "bonne" 
                  santé du personnage ?
                  En guise d'apothéose finale on trouvera une scène 
                  de dialogues complètement éloquente entre Arthur 
                  et l'animateur (un De Niro sobre et un hommage au fabuleux La 
                  valse des pantins), un raccrochement proprement 
                  génial à l'univers DC et un final en forme de 
                  gag chaplinesque... Absolument parfait.
                  
                  Mais si dans 100 ans on continuera de parler de ce film, brutal 
                  s'il en est, ce n'est pas uniquement pour l'intelligence et 
                  la finesse de son propos : techniquement il n'y a strictement 
                  rien à jeter. La photographie très 70's, piquée, 
                  grisâtre, sale, blafarde, peu lumineuse et sans espoir 
                  commence à vous mettre dans un état fébrile, 
                  à vous plonger dans cet univers assez inhabituel de la 
                  part d'Hollywood. Et puis il y a l'étonnante réalisation 
                  du non moins surprenant T. Phillips : et je dois dire que je 
                  l'attendais au tournant, espérant des folies visuelles 
                  au fur et à mesure de la progression de l'état 
                  de cet exorbitant Joker. Mais le choix fut tout autre et O combien 
                  judicieux : sa caméra s'avère être un couperet 
                  qui permet à chacune des scènes de se révéler 
                  sous son plus grand jour, son étude scénique savoureusement 
                  anarchique ; si bien que, j'avoue tout haut, bien des fois des 
                  larmes de jubilation me sont montées aux yeux et la chair 
                  de poule à envahit mon âme : à commencer 
                  par la séquence charnière qui se situe dans l'hôpital 
                  psychiatrique.
                  Je ne suis en rien musicien et je sais trop comment saluer la 
                  performance exceptionnelle de Hildur Guonadottir ("Tchernobyl") 
                  : une composition qui m'a tout particulièrement remuée, 
                  un travail remarquable qui souligne à la perfection l'atmosphère 
                  du film : lourd, épais, coupant, brutal, assourdissant. 
                  
                  
                  Dernier détail, non des moindres, que je tenais à 
                  souligner : la complète maîtrise du budget, loin 
                  des indécences marvellienne et DC. La moindre des choses.
                P.S. : Joaquim Phoenix... est le seul acteur qui m'ait fait 
                  pleuré en riant... aux larmes. Le propre du tragi-comique.
                NOTE : 19-20 / 20