Ce film pourra sans mal être vu comme la réponse
de T. Burton à un D. Trump, même si tel n'était
pas le propos : car cet artiste unique en son genre a choisi
de dépasser son univers et réalise sans doute
son film le plus politisé. Sur le fond, le récit
des juifs polonais -et donc du ghetto de Varsovie- n'est pas
ici pour mettre un peu de couleur historique à l'oeuvre
: et partant de ce cas aussi emblématique que particulier,
le scénario va le transformer en une autre particularité
qui, par le biais de la fantaisie, deviendra alors généralité.
Un groupe de personnes est isolé à cause de sa
différence, de critères ne répondant pas
à ceux d'une majorité, un groupe vivant isolé
dans leur communauté : le manoir devenant le ghetto de
ces enfants. N'oublions pas que la famille du film est juive,
tout comme nombre de noms / prénoms des protagonistes.
Il n'en faut pas plus à l'histoire pour devenir un message
à la fois de tolérance, priant à notre
bon souvenir alors que les démons populistes se réveillent,
une ôde à la différence et même à
la curiosité, thème qui traverse le film de part
en part, depuis ce père qui pense que tout a été
découvert, jusqu'à la gamine n'osant dévoiler
sa "bouche" en passant par la référence
à Emerson. Burton s'est emparé de ces thématiques
pour en faire un film qui lui est propre, et les références
ne se comptent plus : E. Purnell (Emma) dont les grands yeux
nous rappellent ceux de H. B. Carter (7 films avec Burton) et
une obsession burtonienne (voir Big
eyes) ; la création des poupées nous renvoyant
à ses 2 premiers courts-métrages, autant dans
l'animation que dans la thématique (donc forcément
à Frankenweenie
et à un autre délire de l'auteur : le monstre
de Frankenstein), bien aidé d'un clin d'oeil appuyé
à Edward (les outils en
lieu et place des mains) ; les monstres recevant même
l'héritage direct de Beetlejuice.
Tim se permet même une apparition hitchcockienne. Entre
une poésie énigmatique et une violence, une noirceur
propre à l'auteur, l'oeuvre s'inscrit donc dans la continuité
de la filmo de l'artiste mais ne s'y arrête pas : musique
puissante, lumière particulière, effets bien orchestrés
(hommage aux Argonautes),
décors grandioses...etc.
Et la force de cette oeuvre réside définitivement
dans son scénario : j'ai même trouvé que
Burton restait un peu en retrait dans nombre de scènes,
presque en perte d'inspiration... Car le film, comme je l'ai
déjà évoqué, n'est pas une espèce
de X-men avec des enfants aux pouvoirs considérables,
même si les films se rejoignent dans leur thématique,
Burton ne cède pas à la mode des super-héros
(d'ailleurs c'est lui qui a lancé cette mode !) : ces
pouvoirs ne sont pas des armes mais le deviendront par la force
des choses. Le scénario est fin et multiple, les intrigues
rebondissant régulièrement et nous entraînant
sans peine dans la suite de l'histoire : les enfants qui ne
sont pas morts, le héros qui est plus particulier qu'il
ne le croit, les boucles temporelles qui donnent un vrai piment
au récit, les méchants qui permettent à
l'oeuvre de ne pas sombrer dans le manichéisme ; car
ces mauvaises personnes sont tout aussi particulières,
leur leader n'ayant nul besoin de raison pour se faire, seulement
des excuses (une radicalisation ?). C'est exactement là
que tous les extrêmismes trouvent leur force. Une nouvelle
pièce maîtresse dans la filmographie du maître.
NOTE : 15-16 / 20