Un château anachronique -croisement fascinant entre les
demeures du Dr Caligari et celle du Dr Frankenstein- juste à
la frontière de suburbs américaines colorés
et uniformes, petit monde parfait en apparence, comme issu d'une
mauvaise pub pour lessive et dont la photo rappelle furieusement
les années criardes et bigarrées que furent les
70’s. Et la confrontation de deux existences ; celle d'un
être "bizarre", singulier, solitaire et la vie
égoïste, pseudo-communautaire et vaines de ces précurseurs
de nos Desperate housewives. Emballé par une réalisation
élégante, une musique divine et éternelle,
des acteurs habités (dont un hommage particulier à
V. Price dans un rôle d'inventeur / père).
Burton va donc mettre un peu de noir, d'originalité,
de folie, et même beaucoup de fantaisie, dans ce monde
ennuyeux derrière des apparats multicolores. Derrière
cette nouvelle lecture du mythe de la créature de Frankenstein
-jusqu'à son pouvoir émotif, entre la peur et
la pitié- il y a un personnage unique, insensé,
lunatique et atypique. Et derrière ce personnage on peut
lire une puissante métaphore sur l'arrivée d'un
étranger dans une communauté, la venue de cette
personne différente qui va venir bouleverser des petites
vies bien réglées. Entre autres thèmes
se croise celui de la tentation de l'humanisation / assimiliation
de celui qui n'est pas comme le commun des mortels, et par là
même de la destruction de son essence même, de cette
différence ; on voit très bien que quasiment chacun
d'entre eux tentera, à sa manière, de l'apprivoiser
afin de mieux l'utiliser plutôt que l'intégrer
pour ce qu'il est (la scène où il coupe ses vêtements
est à ce sujet hautement symbolique). Ici le démon
est humain : le petit ami jaloux, la prêcheuse, la femme
vampire... Mais le film va même encore beaucoup plus loin
dans sa thématique : c'est tout autant une étude
de la naïveté première (Edward est comme
un enfant qui découvre émerveillé le monde)
confrontée au monde extérieur, à sa dureté,
à une certaine forme de réalité, qu'un
appel à rechercher la beauté cachée derrière
toutes choses, au fond de toutes personnes. Enfin, le film parle
très clairement de la différence et de la métamorphose
de ce handicap en un avantage, un talent.
Avec en prime un final burtonien extraordinaire ; bref, un cocktail
de bonheur brillamment servi, qui n'a de cesse d’étonner
et de ravir.
NOTE : 19-20 / 20