Envoûtant, original, sophistiqué, vénéneux…
Kubrick n’a pas changé, où alors seulement
de thématique, et comme à l’accoutumée
il joue sur tous les tableaux, autant techniques que scénaristiques…
et une fois de plus il gagne. Sortant de ses sujets de prédilection
(notamment la guerre), Kubrick décide d'explorer le couple
et la sexualité à travers une analyse toute personnelle
de la jalousie, du désir, de la tentation, des fantasmes
et de la culpabilité ; dans la profonde intimité
d'un couple.
Quand les français n’ont de cesse d’interroger
la chair, Stanley nous offre enfin une variation plus cérébrale
sans être pour autant intellectuelle ; son film est un
immense fantasme où un couple (plutôt l’homme
d’ailleurs) se rend compte que la fidélité
tient à tellement peu de choses. De désirs en
plaisirs visuels, de doutes en convoitise, le personnage de
Tom Cruise va effectuer un parcours initiatique et torturé
à travers une New York noctambule, chantre de la dépravation.
Sur ce thème se greffe foule de personnages énigmatiques
(le loueur de costume qui prostitue sa fille, la pute adorable,
le pianiste mystérieux…) et, surtout, la peur,
la peur du sexe sans amour, peur matérialisée
d’une part par la prostituée et d’autre part
par cette société secrète qui a élevé
l'acte sexuel au rang de religion tendance fanatique et dangereuse
; appuyé par la réalisation extraordinaire du
maître et par la musique. L’analyse de l’âme
de cet homme devient bien vite clinique, à l'image de
la tonalité bicolore de la photographie -jaune inondé
de lumière / bleu nocturne-, le jaune étant souvent
dominant pour le sexe ; j'en veux pour preuve la scène
où il se trouve avec la prostituée, éclairée
en jaune comme l’était son foyer et, lorsque sa
femme lui téléphone, derrière elle, les
couleurs deviennent bleues, froides. C'est une analyse clinique
et mentale car on a l’impression qu’il s’enfonce
peu à peu, le petit bourgeois urbain cauchemarde, il
entraperçoit sa vie sans la femme qu’il aime plus
que tout, sans sa famille, sans stabilité, il cherche
à s’émanciper et manque de se perdre. Eyes
wide shut est un voyage nocturne -moment privilégié
pour l'intimité- qui va insidieusement chercher au plus
profond de nous et interroge notre propre histoire amoureuse.
Il va sans dire que la société secrète
n'est que l'expression, la métaphore de l'acte d'amour
perverti et hors mariage.
Des réserves ? D'aucun lui reprocheront son aspect trop
langoureux, alors que le temps n’est pas passé
pour moi. D'autres des dialogues déclamés péniblement
et sans raison alors qu'ils sont, en fait et tout simplement,
appuyés pour créer cette atomsphère réaliste
et quasi dérangeante ; impression accentuée par
le manque volontaire d’ellipse à l’intérieur
des scènes (filmées en "temps réel").
Cruise et Kidman, à la ville comme à la scène,
se fondent à l'univers du maestro et composent un couple
plus vrai que nature.
Si je ne ne rangerai peut-être pas ce film aux cotés
de Orange
mécanique, 2001,
Les sentiers de la gloire
ou de ses très nombreux chefs-d’œuvre, Eyes
wide shut est loin de faire pâle figure dans
la filmographie de Stanley Kubrick pour la bonne raison que
ce dernier a réalisé un vibrant hommage au couple,
à la famille, à l’amour et… au sexe
; n’en déplaise à certains.