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Interview

Jean-Paul SALOME, réalisateur et scénariste de La daronne avec I. Huppert

- Bonjour Jean-Paul
Comment tu vis ce report de sortie pour La daronne ? Tu n'as pas peur d'une sortie plus chargée en concurrence ?

Quand la décision a été prise la première fois de décaler la sortie prévue au 25 mars alors que c'était le début de la pandémie et que les cinémas étaient encore ouverts, j'étais abasourdi, mais je respectais la décision de Jean Labadie et de son équipe du Pacte. L'avenir nous a malheureusement montré qu'ils avaient raison. Ils ont pu ainsi arrêter presque tout avant que la campagne de pub et la promo ne commencent vraiment et ainsi protéger le film.
Ensuite le film a été redaté au 15 juillet, mais avec l'évolution de la situation et le flou qui règne sur une date possible pour que les salles rouvrent, il n'y a plus vraiment de date aujourd'hui, hormis que le film devrait sortir avant la fin 2020.

Pour ce qui est de la concurrence tout dépendra de quand les salles réouvriront et du calendrier de sortie des films US. C'est eux qui vont fixer le tempo et qui obligeront les autres (nous, films français) à s'organiser.

Il faudra déjà voir ce qui se passe avec Tenet et Mulan dont les sorties sont à ce jour toujours prévues mi et fin juillet.

 

- Parle-nous justement de La daronne : qu'est-ce qui t'as poussé vers ce projet ?

On m'a fait lire le livre de Hannelore Cayre que j'ai adoré. J'ai tout de suite senti le film que je pouvais en tirer. Et surtout vu l'opportunité de tourner avec Isabelle Huppert que j'avais revu pendant des voyages alors que j'étais président d'Unifrance. Nous voulions travailler ensemble. L'occasion s'est présentée avec ce livre.

 

- Est-ce que l'on dirige quelqu'un d'aussi expérimentée que I. Huppert ??

Oui. On la met en confiance. On fait une lecture approfondie du texte, on choisit ensemble les costumes pour cerner le personnage... Chaque matin, on se retrouvait au maquillage et on parlait de la journée, on faisait les derniers ajustements de dialogues, elle me posait des questions sur les scènes - rarement sur le personnage avec lequel elle se sentait particulièrement à l'aise. Elle voulait toujours être sûre que l'on comprenne les intentions de la scène. Ensuite sur le plateau, c'était de la mise en place, le travail de caméra, etc. Il n'y avait plus aucun problème de texte. Jamais. C'était juste trouver le bon tempo de la scène. Travailler le rythme du dialogue, des déplacements. Avec Isabelle ça a été une vraie collaboration. Inoubliable.

 

 

- Ton cinéma est riche de diversité : depuis quelque années la diversité de production dans le ciné français ne se voit guère au box-office, les comédies mainstream trustant les 1ères places du box-office. Ce n'est pas un problème ça ?

Ça toujours été le cas. Les films avec les Charlots cartonnaient aussi dans le temps, sans parler des films de Bidasses ou du genre Mon curé chez les nudistes. Bon disons qu'aujourd'hui il y a beaucoup, beaucoup plus de films qu'avant, français et autres d'ailleurs. Et même si les entrées ont augmenté, l'offre est énorme. Et la curiosité des spectateurs est peut-être moins vive qu'avant. Mais il existe encore dans le cinéma français une vraie forme de diversité. C'est de plus en plus dur, mais ça existe encore.

 

- Les femmes sont souvent au centre de tes films : alors, envie de nous parler des César ?

Je crois que la page est tournée et que la pandémie est passée en balayant tout sur son passage. Espérons qu'après certaines choses auront durablement changé, dont les César.

 

- Cette période de pandémie a permis de soulever nombre de questions : l'une d'entre elle est de savoir s'il faut bouleverser la chronologie des médias (pour les films qui seraient des échecs en salles par exemple) ?

Quelques ajustements devraient être faits, mais je ne crois pas au grand chambardement. Pour arriver à quoi au final ? Que des films fragiles, des documentaires puissent arriver plus vite en VOD, sur des plateformes, c'est sûr. Pour le reste, il faudrait parfois faire plus confiance à ceux qui ont mis de l'argent dans le film pour leur laisser le choix de trouver la meilleure chronologie afin qu'ils récupèrent au mieux leurs investissements. Et puis surtout, tant qu'on ne s'attaquera pas à la piraterie, ça ne servira à rien d'essayer de changer les choses en profondeur.

 

 

- L'annulation sur le tard et pourtant évidente du Festival de Cannes en a laissé certains perplexes : un homme de cinéma comprend-il cette décision tardive ?

Ce sont des passionnés qui s'occupent de Cannes. Heureusement qu'il en existe encore. Le cinéma en a besoin. Si on ne faisait que prendre en compte le quotidien et la réalité, où serait le rêve, la magie ? Ils ont essayé jusqu'au bout de nous faire rêver. Je trouve le geste assez beau. Maintenant, la raison a repris le dessus, bien obligé vu les circonstances. Mais ils cherchent encore quelque chose d'autre, d'inédit, de nouveau, pour redonner un peu de courage à tous les cinéastes et cinéphiles de la planète. Tant mieux.

 

- Netflix (et Disney+) est-il un danger pour le cinéma, poussant les spectateurs loin des salles ?

On verra après, quand les salles rouvriront. Ça change forcément la donne. Mais tout ça pour voir quoi franchement ? Pour les séries, je ne dis pas. Mais côté longs-métrages ? Qu'est-ce qu'on y gagne ? J'ai comme tout le monde profité du confinement pour regarder quelques « originaux Netfix ». On ne peut pas dire que ça croule d'originalité tout ça. Ce sont de bonnes séries B, au mieux, ultra-formatées. Sans parler évidemment des quelques coups d'éclats pour leur image avec Roma, Mariage Story ou le Scorsese par exemple (Irishman).
Amazon pour l'instant, question cinéma français, c'est le néant.
Et je ne parle pas de Disney +. On verra dans l'avenir.

 

- C'est vrai que les séries TV ont le vent en poupe : pourquoi n'as-tu pas cédé aux sirènes ?

Je tourne autour, mais rien encore de vraiment concret. Ça prend beaucoup de temps et j'ai déjà plusieurs projets pour le cinéma en développement. Je travaille de manière artisanale et j'essaie de ne pas trop me disperser. Mais j'y suis ouvert, parce que ce type de narration me semble intéressant.

 

- Puisqu'on parle de géants : le méga conglomérat Disney-Fox-Pixar-LucasFilm ne met-il pas en péril la diversité mondiale ?

Oui. Ça favorise la standardisation. Tout ce qui sort de leur pipeline finit par se ressembler, c'est infernal. Enfin, moi, ça ne m'intéresse plus, surtout depuis leur cross-over... alors là, je n'y comprends plus rien, j'ai toujours l'impression de revoir le même film.

 

- Quels sont les auteurs que tu surveilles de près actuellement et quel est le dernier chef-d'oeuvre qui tu aies vu au cinéma ?.

Le dernier chef d'oeuvre, le Almodovar à Cannes l'année dernière (Douleur et gloire). Magnifique.
Sinon, je ne « surveille » personne. Je reste un spectateur attentif et curieux qui va au cinéma plusieurs fois par semaine, toujours prêt à être étonné, surpris, à vivre quelque chose de nouveau. Heureusement, ça arrive encore parfois, ce qui est rassurant.
D'où le manque que j'ai en ce moment de ne plus pouvoir aller au cinéma. Un vrai crève-coeur

- Tous mes remerciements Jean-Paul, je sais que cette période a été particulièrement difficile.