A rebrousse-poil et à rebrousse-temps : Nolan joue une
nouvelle fois avec le concept du temps (un peu comme il le fit
avec Interstellar
; voir Memento)
et avec celui de réalité (à l'image de
Inception)
et avec Tenet il se pourrait qu'il mette un
terme à une espèce de trilogie / cycle temporelle.
Tenet a pour ambition de nous proposer une
nouvelle forme de cinéma, à commencer par la relecture
audacieuse d'un genre qui nous est plutôt familier : le
film d'espionnage façon "James Bond" ou "Mission
: Impossible" ; qui ne sont eux-mêmes que des films
d'action. Mais le génie du film est qu'il ne s'arrête
pas à l'intention de seulement jouer avec des genres
sclérosés et bien souvent vieillissant, il les
fera également et littéralement / littérairement
exploser : en reprenant la structure basique de chacun d'entre
eux, il propose une lecture nouvelle, intelligente car totalement
déstructurante. Et je ne parle pas encore d'inversion
!
Pour être on ne peut plus clair, dans ce type d'oeuvres
l'histoire se construit forcément autour d'un objectif
clair, d'un méchant ostentiblement établi, d'une
mission quasiment en ligne droite, de corps à corps et
de poursuites motorisées pré-accordées.
Nolan va alors déstabiliser le spectateur qui voudra
bien l'être par la grâce d'une nouvelle structure
et l'apport d'un élément clé et inexploré
: car si la trame de Tenet reste limpide,
l'élément temporel va tout venir brouiller ; et
je nai pas dit "embrouiller"... Comme le dit si justement
la scientifique au début de l'histoire -un clin d'oeil
évident aux divers "Q" vus dans les James Bond-
: il ne faut pas comprendre ce qui va se passer, mais ressentir.
Effectivement ce qui va secouer les spectateurs c'est que l'objectif
reste d'emblée très flou (sauver le monde : de
quoi ?), le méchant longtemps fantômatique (extraordinaire
K. Branagh), la mission tout à fait opaque (on avance
mais sans savoir où l'on va ; on est dans la même
position aveuglante que le héros). Les combats en corps
à corps et les poursuites automobiles seront totalement
déboussolantes, nous faisant agréablement perdre
tous nos repères. Mais pourtant, sur la base, il s'agit
bien d'une investigation où chaque élément
emmène le héros vers un autre, d'indice en indice
qui le rapproche de son objectif ; aussi indistinct soit-il.
En réalité si Tenet nous ébranle
autant c'est parce que, au-delà de son scénario,
le film qui parle beaucoup de cinéma... de structure
cinématographique et scénaristique. Allant jusqu'à
jouer avec l'art du montage.
Temporalité, paradoxes temporels, voyage dans le temps
: ce film est une démonstration inédite, posant
sur un genre -et sur le 7ème art- un regard puissamment
novateur, jouissant d'une surprenante et immense liberté
de ton (dans les dialogues mais surtout dans cet art de l'ellipse
cher à l'auteur, porté ici à son paroxysme)
et possédant un souffle absolument unique.
Il est clair que de nombreux détails resteront obscurs
à la première vision et il est évident
qu'une seconde séance s'impose : d'ailleurs la scène
en forme de palindrome (au milieu du film ?) demande une étude
plus approfondie, les faux twist nous invitent à une
relecture du scénario, et on se rend compte que la seule
complexité de l'oeuvre se trouve que dans l'art du détail,
ceux avec lesquels elle joue avec délectation. La double
lecture du scénario ne fait aucun doute. Et, enfin, l'avantage
de ces séquences d'action définitivement inédites
-avec parfois la relecture de scènes précédentes-
c'est que le film ne demande qu'à se (re) dévoiler
au fil des regards.
N'oublions pas la musique surpuissante et trouble qui restera
inaudible sans les images mais qui nous perd et nous enveloppe
autant que le travail éloquent sur la bande-son.
On émettra cependant quelques menues réserves
: Les ambitions de l'auteur n'étant que purement cinématographiques,
elles auraient pu dépasser ce stade (au risque de rendre
l'oeuvre incompréhensible ? De perdre les repères
du genre qu'il sert ?). Les possibilités semblent tellement
infinies au final qu'il vaut sans doute mieux éviter
de penser au-delà du film. Et puis j'ai trouvé
que les motivations du bad guy restent on ne peut plus classiques,
presque décevantes : mais ne constituent-elles pas un
ultime clin d'oeil au genre ?
En tout état de cause Tenet va beaucoup
faire parler de lui...
NOTE : 17-18 / 20