Attention... film déstabilisant et original. Je ne vais
pas du tout me lancer dans les explications métaphysiques
de telles ou telles scènes, décortiquer les éventuelles
erreurs (pourquoi Saito est-il vieux alors que Cobb et sa femme
n'ont pas pris une ride en 50 ans ? Pourquoi ne les apperçoit-on
qu'une seule fois avec des rides ?...etc), mais bel et bien
effectuer une critique pure et dure du film en question. Nolan,
plus dans la veine de son chef-d'oeuvre Memento,
prend le pari d'explorer le domaine complexe et délicat
du rêve, ses diverses strates, son mode de fonctionnement,
tout en nous offrant une véritable réflexion sur
les complexités de l'esprit humain ; le tout sur un air
d'espionnage industriel... Dans le fond l'auteur a réalisé
un film parfait, parfaitement équilibré entre
ses analyses, ses ramifications et les scènes dites "d'action",
presque "bondiennes", un vrai actioner cérébral
et réflexif. Pourtant il n'atteindra jamais le stade
du chef-d'oeuvre... Pourquoi ?
Passé l'acceptation du principe obscur de pouvoir pénétrer
les rêves (domaine de l'irréalité et de
l'immatérialité ; mais nous sommes dans un film
de SF, n'est-ce pas ?), on se plonge dans une première
partie un peu bancale qui n'est autre que le mode d'emploi de
la seconde partie, un guide explicatif qui nous permettra de
décoder le long final (l'architecture des rêves,
leur mode de fonctionnement, les niveaux de rêve dans
le rêve, le sommeil artificiel) ; sans doute que cette
partie, prenant l'ascendant scénaristique d'un Ocean's
eleven onirique assez classique (recrutement de l'équipe,
plan d'action, mise en pratique), n'est pas assez relevée,
trop démonstrative, elle empêche le film de décoller
correctement bien que l'on soit, comme dans les rêves,
directement plongé dans l'action. Dans le même
but, le personnage de Cobb va très vite prendre beaucoup
de place, s'épaississant psychologiquement au fil des
minutes, s'étoffant brillamment mais ne laissant que
peu de place aux rôles secondaires (c'est un film sur
"lui" me direz-vous... et sur sa femme) qui resteront
des faire-valoirs scénaristiques, efficaces s'il en est,
mais un peu creux. Mais la profondeur du personnage principal
est telle qu'on ne saurait en tenir rigueur à Nolan :
jamais un trauma, une histoire d'amour aussi complexe, n'aura
été exploré jusque dans le subconscient
de son personnage, décortiqué à un point
tel que son côté émotif en est presque amoindri...
Finissons-en avec ce brillant scénario, ce véritable
concept, ce film-miroir (rêve / réalité
- Rêve 1 / Rêve 2...etc) qui trouve son apogée
dans sa longue et sublissime seconde partie... sans doute moins
complexe qu'on veut bien nous le faire croire. C'est un final
alambiqué à l'écriture rigoureuse (même
si, une fois encore, d'aucun trouverons quelques détails
gênants...) qui reste l'une des scènes les plus
stimulantes pour l'esprit auquelle j'ai eu le plaisir d'assister,
une espèce de jeu vidéo se jouant sur plusieurs
niveaux à la fois, interagissant entre eux et jonglant
avec leurs diverses réalités, s'enfonçant
dans les souterrains des enfers de l'esprit humain. Extraordinaire.
Même les scènes d'action trouvent toutes leur justification
: le secret à percer étant extrèmement
bien gardé et la vérité... autre. D'ailleurs
tout contribue à notre adhésion : l'ambiance musicale
du décidément génial Hans Zimmer qui nous
est imposée comme un cauchemar (un simple regard vous
fera peut-être tressauter...), donnant une épaisseur
hors du commun et réellement oppressante à l'oeuvre
; inquiétant. Autre chose, plus subtile : les décors
reprennent un schéma assez constant, celui du quadrillage
(regardez les arrière-plans, les fenêtres surtout),
symbole labyrinthique de notre esprit... Et n'oublions pas la
réalisation savoureuse de Nolan, l'utilisation ingénieuse
de ses ralentis (uniquement pour signifier des éléments
temporels, notamment la réduction du temps de la réalité
qui permet de mettre en exergüe celui du rêve dans
la scène finale avec la camionnette) et la beauté
sans pareil des effets spéciaux.
Alors il faut en venir à cette foutue dernière
scène... la logique veut que Cobb ait laissé sa
femme au passé, retrouvé Saito et vu à
nouveau le visage de ses enfants. Nolan laissera pourtant planer
un doute : la toupie tourne en continue, comme dans un rêve,
et le film s'arrête alors que celle-ci semble vouloir
tomber et donner une certaine logique à cette scène.
Est-ce innocent de la part du scénariste ? Est-ce possible
? Cobb ne s'est-il finalement pas réveillé ? Le
visage de ses anges ne sont-ils que des souvenirs retrouvés
? Qu'importe...
Bien sûr le film s'ouvre également sur d'autres
réflexions : l'inception ne se pratique-t-elle pas réellement
lorsqu'une personne manipule une autre personne plus faible
(je pense aux sectes notamment), leur faisant oublier que l'idée
"inceptée" par une tierce personne ne vient
pas d'eux et ne leur convient pas, ayant germé dans un
tout autre but ? Je vais sans doute un peu loin là !!!
La dernière scène pose tout de même la question
de savoir si, finalement, les rêves ne seraient pas plus
beaux que la réalité (nous les contruisons à
notre image... mais ne les maitrisons pas complètement
; la douleur du rêve est moins physique que psychologique
: n'est-ce pas une douleur plus intense ?) et pourquoi le rêve,
qui fait partie de l'être humain tout comme la respiration
ou la nutrition, ne serait-il pas aussi "réel"
que ce spectacle parfois grossier qui se joue tous les jours
devant nos yeux ???? Je pense que ce film devrait trotter encore
quelques jours (semaines ?) dans nos pauvres têtes...
NOTE : 17-18 / 20