J'aimerais te faire partager non une critique véritable
du film Noé mais un commentaire simple et personnel sur
les intentions à mon sens du réalisateur. Je te
trouve assez dur quand tu dis "une fable écolo morale
qui en fait trop".
En effet, je vais d'abord parler des défauts du film
mais qui n'en sont pas véritablement car sur un sujet
biblique universel comme celui là pour attirer les profanes
et tous les genres à travers le format d'un blockbuster
et tous ses codes inhérents, je suis assez indulgent
avec l’atmosphère "cataclysmique" similaires
presque au film avec Denzel Washington sur le livre de la Bible
justement, l'aspect donc de science fiction au début,
les répétitions des rêves, les dialogues
répétitifs sur le Mal car dans la globalité,
ils servent à préparer le spectateur déjà
au Déluge mais aussi à l'explication centrale
de Noé dans l'Arche à sa famille qui sert de tronc
au film sur la Création, qu'il tient de son père
qui lui même le tenait du sien jusqu'à Adam. C'est
un sujet Biblique et le réalisateur le traite avec respect,
sérieux et honnêteté je dirais, car non
seulement il le retranscrit dans une Histoire linéaire
par rapport au parcours de Notre Histoire et à sa modernité
mais également il a agi presque comme un exégète
car il en livre une interprétation spirituelle sur le
Mal et ses effets à la fois sur la Nature mais aussi
sur la Nature Humaine. A partir du départ de Noé
jusqu’à la montagne de Mathusalem, tous les dialogues
(Je l'ai vu en français, c'est dommage mais j’espère
que c’était fidèle au dialogue original)
sont des clefs sur les combats intérieurs des héros,
Noé, le Roi et Cham. La très belle scène
ou le Roi offre l'arme au fils de Noé Cham qu'il reconnait
comme sien face au père, Noé qui ne reconnait
pas à son fils sa légitimité d'homme en
est l'illustration. Tout le film, Déluge, Arche et Résurrection
coule de cette scène.
La rivalité des pères/Dieux : Le Roi invoque sans
cesse Dieu/Créateur comme étant lui à son
image et donc comme lui peut détruire : L'hubris des
tragédie grecques.
La rivalité Père/Fils comme Dieu/Fils d'ailleurs
entre Noé et Cham en est l'illustration, Cham est un
ainé effacé et obéissant à la première
image du film, il a peur écoute son père avec
déférence et en silence, contrairement à
son frère, audacieux et fonceur qui pose des questions
par la suite et réclame même de partir avec son
père voir Mathusalem.
Cela reproduit exactement la marque de Cain qui est cité
et montré bien une dizaine de fois dans le film dans
de très beaux plans en ombres japonaises (je ne sais
pas si c'est le terme exact) qui m'ont fait pensé au
début de Dracula de Coppola, les prémices du cinéma
en référence aux prémices de l'Humanité.
Rivalité des 2 frères comme revole envers le père
créateur mises au même plan que la révolte
des humains envers Dieu et la Terre mère/Nature, suivant
la foi ou les croyances de chacun, c'est cela à mon sens
la force du film et sa valeur. Il insiste sur la culpabilité
judeo chrétienne tout le long du film, à travers
les dialogues qui peuvent être redondants du début,les
longues scènes de guerre, de massacres d'hommes et d'animaux
qui sont audacieux car il met en parallèle un certain
cannibalisme originel avec la viande qui est mangée jusqu’à
nos jours: les humains étant parqués et dévorés
comme les animaux dans les scènes dans la foret et le
discours de Noé sur l'animal traqué du début.
A travers les codes d'un scenario épuré jusqu’à
la simplicité, le réalisateur s'est servi d'un
choix judicieux de mots et d'images pour faire passer un beau
message profond et c'est cela que j'aimerais te faire partager
car le Déluge est un mythe universel, Russel Crowe et
Jennifer Connelly sont montrés comme la continuité
de Adam et Eve, le père et la mère universel (dialogue
du film explicite dessus) en continuité avec Abraham
et Sarah et je dirai même Moise et Jésus avec le
meurtre de l’égyptien, l'enfant retrouvé
et le sacrifice qu'il est prêt à faire pour racheter
le péché des hommes. Le péché est
bien représenté, le serpent vert tentateur qui
rampe, la pomme rouge qui fait écho aux baies rouges
de Mathusalem qui l’évoque 3 fois dans le film
avant de la trouver, unique. Les baies étant un moyen
nécessaire comme la Pomme de savoir qui on est réellement
en chacun de nous, il se trouve en quelque sorte. As tu remarqué
que le serpent mut et laisse sa peau qui sera la relique d'Adam
jusqu’à Noé qui la porte de l'index jusqu'au
bras qui est l’écho explicite du Taleth, rituel
judaïque de l'union du peuple juif avec Dieu?
Le réalisateur est très fin et intelligent car
il dépasse le simple stade de faute et châtiment
pour livrer un message plus subtil sur le Mal qui est l'expression
dans l’excès
des passions humaines : Noé le dit "le désir
de Sem, l’impétuosité de Cham et le coté
qui cherche à plaire de Javeth" avec la méchanceté
des hommes. Le film montre le long processus à travers
le parcours de Noé, Le Roi et Cham pour la maitrise de
leurs passions et émotions. L'artifice du Roi dans l'Arche
n'est que un écho nécessaire pour montrer le vers
dans la Pomme, Le Mal refoulé dans l'humain qui est In
Conscient, n'en a pas conscience et ne le voit pas, Noé
s'est livré à l'Hubris, orgueilleux et méchant,
tyrannique avec sa famille comme l'est le Roi avec son peuple.
D'ailleurs ils se ressemblent à la fin après les
neuf mois de Déluge en écho avec la gestation
de Emily Watson, Ila (j’espère que je n'ai pas
écorchè son prénom.) Les pulsions sont
là, présente dans l'humain comme dans la Terre
et l'univers mais il n'est que le résultat de ce qu'on
en est ou fait, le libre arbitre.
Jusqu'au bout Noé a le choix cornélien sacrifier
à son Dieu, sacrifier sa famille, se sacrifier en somme,
le meurtre comme la marque de Cain étant soit en porter
le poids soit accepter l'erreur, l’échec puis pardonner
et réparer, les pleurs de Noé envers Cham qui
s'en va à la fin en sont l'exemple. Cham est le personnage
le plus intéressant du film car le plus universel et
identitaire pour le spectateur. D'un enfant doux et effacé
à un adolescent torturé, frustré et révolté,
il a le choix soit aller dans le camp du double père,
celui dans l’excès et la libre expression des désirs
inassouvis cf scène de l'arme, entretien en secret du
Roi dans l'Arche qui ne sont que des symboles des passions refoulés
à la fois chez Noé et Cham mais de tous les personnages
du film comme ceux de l'Humanité. Cham est impuissant,
faible, lâche d'une certaine manière par impétuosité
et irritabilité comme le souligne Noé à
sa femme mais celle ci lui rétorque que la grâce
est présente chez tous, Cham est aussi bon et intègre
comme elle le précise à Noé. Cham contemple
ses passions à travers son double père maléfique,
celui ci lui dit bien, il crève d'envie de se venger
et de tuer son père qui a laissé mourir sa compagne
"innocente et sans méchanceté. Mais le père
et le fils sont bons et d'une certaine manière ont déjà
choisi la voie du Bien, de l'Amour car leurs actes le reflètent
tout au long du film.
Noé par sa Foi combat le Mal/Le Roi et permets au fils
de le tuer en tuant le Mal qui le sait car le Roi a reconnu
"son" fils à travers Cham et lui dit "Ça
y est tu es devenu un homme". La maitrise des passions
à travers le mythe Oedipien en un seul plan, c'est assez
fort mais non surprenant de la part de l'auteur de Pi, Requiem
for a dream et The Fountain.
La catastrophe du Déluge épuré et nécessaire
par le Pardon et la catharsis de Cham qui sauve son père
en tuant le Roi, Mal nécessaire et indispensable pour
devenir un Homme aux yeux de son père mais de l'humanité.
Voie nécessaire de Cham car il n'a pas de femme pour
le compléter à l'instar de Sem et donc non reconnu
doublement par son père. Noé ne peut donc tuer
les jumelles car Cham l'a aidé à éliminer
le Mal et à mieux voir ce qu'il est et a été
dans ses actes antérieurs dans l'Arche. En écho
à la Trinité, Noé, Le Roi, Cham comme celle
Créateur/Noé/Cham et Créateur/Roi/Cham.
Il y a les personnages féminins, la femme de Noé
qui est une nouvelle Eve, en effet, elle est la mère,
la femme et elle maitrise la Terre et les onguents, elle connait
les secrets de la Nature mais aussi le cœur des hommes
car elle devine ceux de sa famille. Elle est solide et active,
elle agit en guerrière même à la fois dans
l'Arche pour sauver sa famille du Mal et aider Noé à
ouvrir les yeux sur ce qu'il est mais aussi à invoquer
Mathusalem en allant seule délibérément
lui réclamer de l'aide. Sans son action de pivot, la
Résurrection ne peut avoir lieu à la fois comme
fin du Déluge et Catharsis mais aussi comme miracle de
vie par la naissance des jumelles. Qui font bien écho
aux 2 femmes manquantes de Javeth et Sem, nécessaires
pour repeupler la Terre. Le personnage de Ila est à sa
manière le pendant féminin de Cham, d'ailleurs
dans ses dialogues, elle parle plus souvent de Cham que de son
propre compagnon. Elle le cherche deux fois dans le film d'ailleurs,
d'abord du regard dans la première partie du film quand
elle dit à Noé qu'il n'a pas de femme puis part
dans la foret à sa recherche, Foret étant le repaire
du Mal ou elle se trouvera
puisqu'elle sera bénie de Mathusalem/Adam/Créateur
et se trouvera comme Femme et Mère créatrice de
vie, elle étant inféconde et ne faisant pas partie
du clan patriarcal de Noé. En mettant au monde ses filles,
elle se révèle elle aussi comme Nouvelle Eve reprenant
le flambeau de la Matrice nécessaire à tout clan
patriarcal,le réalisateur connait bien la Bible qui dit
"la main sur le berceau gouverne le Monde", elle porte
ses enfants dans chaque main et elle demande à les endormir
pour ne pas voir le Mal et laisser l’innocence loin de
la méchanceté, l’innocence et la méchanceté
sont évoqués par 2 fois dans le film, Noé
et Cham justement avec sa compagne quand il tue le Roi. Mais
Ila/Emily Watson devient aussi l’incarnation à
mon sens de la Nature/Terre Mère de Création et
témoin des Hommes en disant à Noé de commettre
son crime mais de le "faire vite". Elle insiste même
2 fois dessus. Jésus dit la même chose à
Judas dans la Cène, Va mais fais le vite. Le libre arbitre
des hommes ici est l'illustration, La Nature comme Matrice se
donne et les Hommes ont le choix même expurgé du
Mal, celui là est présent dans la Nature humaine
sous la forme des émotions et du choix dans les actes,
étant vaincu et dompté, il peut toujours tenter
dans les actes d'amour et en conscience: l'Enfer est pavé
de bonnes intentions, une bonne intention peut se muer en acte
maléfique. D'ailleurs son prénom m'a fait penser
au prénom Elle, Ella qui signifie "celle qui est
là" ou Leila "nuit noire", jolie symbole
de la Matrice.
Enfin je finirai sur l'infortunée compagne de Cham qui
est sacrifiée comme une Rebelle, elle fait partie des
ennemies, elle est brune en contradiction avec la blondeur de
Ila ou le foncé clairsemé des cheveux de la mère
de Cham et elle périe comme la proie de son propre clan
qui la piétine, piégée par l'airain de
la méchanceté des hommes et abandonnée
de Noé. Elle est mise au même plan que le Roi et
les victimes du Déluge, à la fois innocente et
prisonnière des démons libérés par
l’excès des humains. Sacrifice nécessaire
pour la Résurrection dans un Nouveau Monde comme le dit
Sem qui veut d'ailleurs fuir aussi sur un canot qui n'est pas
ridicule à mon sens bien au contraire, en le brulant
Noé commence son travail de Catharsis, il libère
sa colère devant un acte de son fils qui aurait été
la conséquence de sa rigidité. Le couple Sem/
Ila est clairement le flambeau du Nouveau Monde en écho
à l'ancien Noé et sa femme. L'eau du déluge
nettoie, le feu détruit comme le dit Noé en soulignant
la prophétie d'Enoch. Le feu est la vie, il est la lumière
et la création mais à l’excès il
détruit la Vie et la Création. D'ailleurs, le
choc provoque l'accouchement d'Ila.
Voilà, j'ai trouvé que c’était un
beau film respectueux dans son message et le propos de ce réalisateur,
la mise en scène est à la fois, à mes yeux,
sobre et quand il utilise les effets de camera à l’épaule
surtout au début, c'est peut être maladroit pour
la cohérence mais cela souligne à mon sens les
égarements et le processus de recherche de l’état
d’âme des personnages. D'ailleurs j'avais trouvé
que la scène de nuit sous la tente au pied de la montagne
faisait clairement studio ou effets rajoutés comme l'attaque
des veilleurs mais dans la globalité, je suis indulgent
avec le coté primal et primaire de cette première
partie. Les Veilleurs sont intéressants et font écho
aux humains prisonniers de la marque de Caïn, du Mal qu'ils
ont libéré et crée, Noé la porte
d'ailleurs après le meurtre du Roi et avant de vouloir
répéter celui sur les jumelles, faisant écho
à 10 générations de guerre et de passions
déchainées qui ont détruit la planète.
En demandant pardon de faillir à leurs missions, étant
enchainant contre les hommes à les tuer et répondant
la Haine face à la Haine, ils s’allègent
et sont rappelés permettant au Déluge de faire
son œuvre. Leur tache est accomplie.
Voilà, j'ai trouvé que le réalisateur
s'en est bien sorti sur un sujet délicat et ardu et à
travers les codes d'un blockbuster, il a su faire un film très
personnel à travers ce sujet.
Je comprends les critiques qu'il peut susciter car si on le
prend pour un simple divertissement, qu'il est aussi, on peut
le trouver redondant et simpliste, voire confus et incohérent.
Je pense que ce film a les mêmes qualités et défauts
d'un "Agora" de Alejandro Amenabar, sujet magnifique
et ambitieux et à vouloir toucher tous les publics et
etre le plus lisible et simple possible peut dérouter.
Mais à l'analyse et dans sa globalité et profondeur,
sait être beau et touchant, c'est le principal.
NOTE : -/20
David