La fabrique de martyrs : Dieu es-tu là ?
Avouez que la réalisation en forme de couperet vous a
coupé le souffle et participe de beaucoup à l'ambiance
décalée et complètement nauséeuse
du film : Laugier s'avère être un metteur en scène
chirurgical, collant à ses actrices au plus près,
doublé par un montage au scalpel et un scénario
qui vous prend à revers, loin des affres du cinéma
horrifique lambda ou du psychokiller sans ambition. Et sa violence
n'est absolument jamais retenue.
Débutons par les références : le film commence
là où La
dernière maison sur la gauche se termine,
d'ailleurs on retrouve un thème cher à ce même
Craven (Le
sous-sol de la peur) et à son côté
"craspec" de la première heure. Visuellement
l'oeuvre est cependant plus léchée, plus froide,
plus pâle, extrêmement délavée et
bien plus maîtrisée : on pense plutôt à
Cronenberg... Mais Martyrs
va beaucoup, beaucoup plus loin que les films sus-cités.
Il est divisé deux parties vraiment distinctes, un récit
à la brisure nette qui n'a rien de classique et surprendra
le spectateur à n'en point douter.
La première partie disserte sur le thème du survival
et du revenge movie des années 70, narant un trauma extrême
et intense, j'oserais même dire "personnifié",
comme le fit d'une certaine façon Cronenberg dans Chromosome
3 : car ici le monstre est bien humain -ou l'était
- et il représente le cauchemar de cette triste héroïne,
sa mauvaise conscience. La seconde partie peut sembler moins
réussie de prime abord, car plus répétitive,
parfois trop poussive et démonstrative, manquant d'intensité
dramatique, cependant elle va révéler la véritable
nature de cette oeuvre qui, finalement échappe à
toutes références. A la fois lourd, fabuleusement
dément et d'autant plus inhumain, le film expose un univers
secret infâme, de ceux qui nous donnent naturellement
des frissons d'effroi, un univers qui éloigne soudainement
toute la prétendue gratuité du film et dont l'idée
dépasse merveilleusement la raison et justifie sans doute
quelques longueurs. C'est même un hommage aux torture
porns mais, encore une fois, demeure tellement plus abouti.
L'auteur nous fait donc découvrir les fondations de son
oeuvre : l'homme à la recherche d'une existence après
la mort, à la recherche de Dieu, à la recherche
scientifique de ce qu'il n'a pas le droit de connaître,
de réponses auxquelles il ne peut avoir accès
(le suicide final me semble clair...), l'homme exploitant l'homme,
non plus pour la recherche médicale, mais dans le but
d'une quête spirituelle (?) vaine, comme un vulgaire rat
de laboratoire ; les richards qui paient pour financer ce projet
abject ne cherchent-ils finalement pas qu'un simple "oui"
ou "non", pour ensuite tourner les talons et trouver
d'autres quêtes, ailleurs ?
Une ambiance abyssale qui ne peut que vous donner envie de réfléchir
: pour un film d'horreur, c'est assez rare, non ? Car il passe
entre les genres, innove, invente une mythologie pour toujours
nous surprendre et finit par déboucher sur une dernière
partie loin de la condescendance dont on l'a affublé,
mais plutôt à tendance horrifico-mystique, allant
bien au-delà de son côté malsain, gore ou
effrayant. Ambitieux.
Martyrs vous met dans un état de tension
constant, de malaise persistant, il reste d'une intensité
rare, sauvage au plus haut point, terriblement cruel, complètement
enragé et totalement pervers envers ses personnages.
Abominablement démentielle et puissamment intelligent,
dommage que quelques imperfections (rythme, dramaturgie) laissent
des traces...
NOTE : 15-16 / 20