La guerrière et l'ange.
Voici le mythe de Prométhée dans version nipponne
: rappelez-vous ce bon vieux Dr Frankenstein créant un
être de toutes pièces afin de vaincre la mort (d'un
être cher) ; sa "créature" lui échappera
et sera tiraillée par une personnalité ambigüe
et multiple. Alita n'est autre que ce Pinocchio futuriste (elle
découvre le monde avec une certaine naïveté)
assemblé par un Dr Geppetto : même si le pantin
se révélera plus trash et plus moderne.
La grande force de l'oeuvre est d'être plus intéressée
par ses héros que par l'univers bigarré dans lequels
ils évoluent : celui-ci n'est qu'une formidable toile
de fond. Et si les personnages traversent littérallement
l'écran, et ce dès les premières minutes,
c'est qu'ils ont tous deux traits de caractères communs
et essentiels. Le premier est qu'ils sont tous d'une incroyable
dualité, ce qui leur confère une incontestable
profondeur et un humaniste pregnant : chacun d'entre eu possède
un double rôle dans le film, autant l'ex-femme ayant mal
tournée que le baroudeur Hugo, autant le docteur qu'Alita
elle-même. Deuxièmement ils sont tous en proie
avec leur passé, tout autant qu'obsédé
par leur avenir (notamment sur Zalem) : que ce soit un passé
sombre, inconnu, fait de drames humains ; où encore d'un
un simple passé d'êtres humains à part entière.
Alita est en réalité un film
foncièrement humain.
Le film développe également un autre concept que
je trouve toujours aussi fascinant : celui du mythe du paradis
terrestre, de l'El Dorado, cet endroit vers qui tout converge
(et revient, à l'image des pièces détachées
qui en tombent... l'Ange Déchu...), cet Eden où
paraissent vivre les seuls élus, ceux qui ont réussis
; on retrouve un peu de Metropolis
dans cet Alita, et plus prosaïquement
de cette thématique étudiée dans Elysium.
En tout état de cause, le mystérieux Nova serait
une espèce de dieu moderne, omniprésent, omnipotent
et omniscient, à travers tout les "croyants".
Toute considérations religieuses gardées (on voit
symboliquement une église en ruine parmi les décors
importants), Alita n'est pourtant pas une Nième élue
du 7ème art, mais plutôt la quintessence de la
réussite dans une société prolétaire.
J'ai également été foncièrement
happé par ces créatures aux possibilités
semblent-ils infinies : non seulement le film est visuellement
un petit bijou, mais il prolonge intelligemment cette obsession
nipponne concernant ces êtres mi-homme, mi-robot, fantasme
d'une fusion ultime et absolue entre l'espèce humaine
et sa technologie (dans une version cependant moins cauchemardesque
que Tetsuo).
Les FX sont exceptionnels car assez délirants et, pour
une fois, proches de ce que l'on attend véritablement
d'eux : être des oeuvres d'art, audacieuses.
Les limites de l'oeuvre sont pourtant claires : ça reste
une version assez édulcorée puisque grand public,
matinée de sauce US (dans les facilités scénaristiques
et la structure du récit) mais bourré d'idées
de SF plaisantes (et pas seulement le concept du "Rollerball").
Rodriguez m'a beaucoup moins impressionné que les effets
spéciaux qui le servent : le mal hollywoodien a eu un
peu raison de ce monsieur, qui ne vise ici plus qu'une certaine
efficacité... Et le film reste, enfin, assez chiche concernant
le passé pseudo-mystérieux d'Alita. Globalement
-même si ce n'était pas le but du film ni celui
du manga, je crois- il manque une réflexion globale et
une profondeur littérale plus présente. D'ailleurs
la love story y est sauvée in extremis.
Sinon : Alita est merveilleusement belle et touchante...
N.B. : Après lecture dufabuleux manga (on laisse
tomber l'anim', vraiment très faible) on se rend mieux
compte du brillant travaille d'adaptation, de restructuration
totale du récit pour en faire un objet cinématographique
; d'où ma réévaluation de la note. Adaptation
des deux premiers tomes (et de quelques pages du 3ème),
le film use d'arguments imparables pour ce faire : augmentation
de la présence de certains personnages (l'ex-femme) /
suppression d'autres, gommage de certaines séquences,
mise en toile de fond pour d'autres éléments (à
juste et différents titres : le Motorball), présence
très justement copiée-collée de certains
pans entiers de l'histoire -voir de vignettes, respects du découpage
des combats. De ce point de vue, l'histoire d'amour et la réflexion
se plaquent complètement à l'esprit du matériau
d'origine.
NOTE : 17-18 / 20