Metropolis est sans conteste le plus grand
chef-d’œuvre de l’expressionnisme allemand.
Une oeuvre à la beauté plastique indéniable,
une oeuvre gigantesque tant par ses décors, ses effets
mécaniques, ses transparence où son esthétique
que par la vision de son auteur. Lang a prévisualisé
les problèmes de l’Allemagne bien avant l'heure
: la montée du nazisme et ses conséquences, les
problèmes ouvriers et la nouvelle mécanisation
industrielle. Autant philosophique que social le film garde
encore toute sa force et de très nombreuses thématiques
y sont abordées : l'asservissement humain, les croyances,
la manipulation politico-sociale (les machines que l'ouvrier
ne comprend pas), la lutte des classes et même le transhumanisme.
Jugez plutôt :
Les masses laborieuses, telles de vulgaires robots prêt
à être remplacées, entrent et sortent de
l'entreprise, de la cité ouvrière, tous uniformes,
tous dans un rythme servile représentant un labeur abrutissant,
lobotomisant qui finit par tuer littéralement ; et le
film de démonter une révolution industrielle étouffante,
visualisant les conséquences de ce que l'on connaissait
déjà sous les nominations de "taylorisme"
et "fordisme". Du pur génie.
Avec son architecture très froide et la symbolique marquée
de la hiérarchisation sociale, le film fait office de
précurseur : depuis ces jardins des délices tout
en haut, au grand air et au soleil, jusqu'en ces usines situées
dans les tréfonds de la terre, enterrées comme
elles enterrent leurs ouvriers prématurément.
Œuvre visuelle et visionnaire qui préfigurait également
l'accroissement vertical et illimité de nos cités,
nos centres villes envahi de lumière et de publicités,
nos centres congestionnés et pollués, nos échangeurs
routiers dantesques. Les décors homériques donnent
l'impression de constamment écraser les êtres humains
et, donc, de servir le propos du scénario.
Metropolis est également une vision
socialisante de notre société où -dejà-
le fossé entre les riches et les pauvres créait
de l'animosité et de la haine, vision où la masse
populaire s'insurge contre un traitement profondément
inhumain, inégalitaire qui a remplacé l'esclavage
par un système capitaliste où la seule différence
se situe dans le fait que ces nouveaux serviteurs sont payés
; ils sont payés pour se loger et se nourrir. Là
encore le film préfigure cette poignée de riches
citoyens qui dirigent le monde à leur convenance, sans
conscience aucune et grâce à leur immense fortune...
Metropolis c'est l'histoire d'un humain, être
magnanime et altruiste qui comprend la dérive du monde
dans lequel il vit, les conséquences inéluctables
des aberrations que l'on prenait soin de lui cacher. Un homme
fait de sentiments -puisqu'il s'avèrera être le
"coeur"- à l'inverse de cet être robotique
qui n'est alors que le symbole de la déshumanisation
de l'espèce humaine : l'attrait aveugle pour le modernisme,
la perfection et la beauté toute extérieure, le
rejet des valeurs notamment religieuses. Le film de F. Lang
est également une histoire d'amour quasiment mystique,
loin des canons habituels.
Metropolis est un balai visuel gigantesque
et d'une inventivité sans limites, fourmillant de visions
à la modernité extraordinaire (notamment les systèmes
de communication : ou quand la réalité rejoint
la science fiction) et de thématiques d'une richesse
renversante : celle de la Tour de Babel n'étant pas des
moindres, métaphorisant ainsi la main d'oeuvre ouvrière
étrangère, criant après le racisme grandissant
de l'Allemagne et appelant à une véritable compréhension
entre les peuples.
Quelques plans en mouvements et surtout en caméra suggestive
prouvent à eux seuls le génie de leur auteur ;
d'ailleurs aucun de ses plans n'est anodin. L'apocalypse final
jouit d'effets spéciaux et de plateaux spectaculaires,
magistraux, pour ne pas dire pharaoniques.
Le final demeure un vibrant appel à la réconciliation
du grand capital avec la force ouvrière par l'entremise
(du coeur) de plus d'humanité : une fois de plus on serait
fortement tenté d'y voir une allégorie, un cri
à l'égard des syndicats. Ou tout autre chose.
NOTE : 19-20 / 20