Nous sommes accueilli par une photo enveloppante et pour autant
dans les tonalités grises-sales, granuleuse et sentant
la sueur des salles de sport.
Eastwood met en scène l'Amérique des pauvres,
des miséreux, des laissés-pour-compte en manque
de chaleur familiale, abandonnés par le système.
Il campe un entraîneur qui a fait de la boxe un parachute
social pour ces gens, la meilleure façon de les sauver
en leur donner un but dans la vie. Million dollar baby
brille par ces protagonistes très bien dessinés,
surtout le contour de leurs blessures, et dont les interactions
entre eux matchent à chaque fois ; Eastwood / Freeman
et leur relation ami-ami de très longue date. Eastwood
/ Swank et leur liens quasiment filiaux.
Million dollar baby se trouve être l'une
des œuvres les plus sensibles de Clint, un film qui évoque
nos erreurs, humaines, celles qui font basculer nos vies dans
le drame. Et le propos est contrebalancé par ce regard
sur nos comportements face au repentir, avec en filligramme
un couplet désespéré sur la religion. La
manière dont le scénario glisse imperceptiblement
de la comédie au drame le plus puissant rend Million
dollar baby furieusement compatissant et d'autant plus
éprouvant pour notre émotivité : c'est
dans sa manière absolument terrifiante de présenter
la vie de nos concitoyens les plus démunis -depuis cette
jeune fille jusqu'à sa famille prête à croquer
une part du gâteau- que le film creuse le sillon d'une
sensibilité sans fard.
Million dollar baby est une œuvre immense
car, non pas larmoyante (même si...), mais profondément,
assurément humaine. Peut-être que la dichotomie
entre ce sport brutal, "de mecs", et la douceur qui
émane de cet entraîneur, la réflexion que
le film apporte sur la souffrance, rend l'oeuvre étonnamment
vibrante. Sans doute que le parallèle flagrant entre
ces combats que l'on effectue autant sur un ring que dans l'existence
permet une identification immédiate et universel avec
les destinés de chacun d'entre nous.
Je n'éprouve toujours qu'un seul regret à la vision
du film : sa réalisation qui manque quand même
de relief sur de nombreux plans.