Le pouvoir des images : près de 30 ans après,
Natural born killers est toujours une œuvre
essentielle au 7ème art.
Ce film s'impose en quelques secondes comme une bombe visuelle,
un patchwork explosif et aggressif qui défie les codes.
Sa réalisation maniérée restitue à
la perfection les troubles sensoriels et émotionnels
de la psyché, du monde intérieur de Mallory et
Mickey : télévisuel, cinématographique,
alternant les couleurs tous azimuts, sur fond de musique jukebox
en accord avec leurs émotions.
Ces "héros" qui n'ont plus que l'amour de l'autre,
ne vivant, n'existant plus que pour ça, enfermés
dans une bulle amoureux extrême, sans limites ni morale,
sont les nouveaux héros du peuple, d'un monde à
leur image. Si le film ose un début d'explication à
leur folie, à savoir le fruit de tramatismes infantiles,
d'un passé douloureux et déjà grandement
violent (et sexué), l'analyse se porte vite sur un raisonnement
tout autre quant à la source de leurs maux, de leur violence
naturelle.
Sur le terreau d'une enfance malheureuse, d'une éducation
défaillante, c'est une toute autre forme de violence
qui est pointée de doigt et mise en accusation : celle
de ces médias sans déontologie, racoleurs au possible
et mis en libre service pour une populace déjà
fragile. Amoraux plus qu'immoraux, ces tueurs-nés ne
font alors que reproduirent les images qu'ils avalent sans filtres,
cette violence inconséquente sur un écran, cette
réalité alternative à leur univers traumatique,
comme une nouvelle (télé) réalité,
une vie plus belle que la leur ; une vie qu'ils maîtrisent
à la perfection et dont ils sont, enfin, les héros.
On y revient.
Oliver Stone parait très clair à ce sujet : les
amants meurtriers sont comme issus d'une sitcom (avec rires
enregistrés), les fenêtres des intérieurs
ne reflètent que des écrans telévisuels
(à l'hôtel ou chez l'indien, par exemple), les
images sont absolument partout, se superposent, s'entrechoquent,
sont indissociables de la / leur réalité. Mickey
& Mallory trouvent dans leurs exactions une vraie liberté
(qu'ils transmettent un temps au journaliste), refusant ainsi
toutes formes d'autorités (notamment paternelle ; ici
représentée par les forces de l'ordre, toutes
masculines) et de lois, se métamorphosant en êtres
jusqu'au-boutistes, sans plus de notions de mort, de violence,
de vie humaine, devenus de simples éléments bi-dimensionnels
d'une univers en carton-pâte. Puisque tout n'est qu'images
; ce ne sont que des images qu'ils reproduisent.
Un autre élément crucial d'analyse est à
aborder ici : Mickey et Mallory s'avèrent n'être
finalement que le produit de notre société (des
médias putassiers), produits chassés par cette
même société puisque devenus gênants
en débordant sur le réel. L'homme est un loup
pour l'homme nous dit très justement O. Stone (l'image
du loup n'est jamais anodine) : Tueurs nés
est en ce sens à l'exacte image de Orange
mécanique, à la différence
près que nos anti-héros ne peuvent pas être
récupérés par un Etat dépassé
par les évènements, mais seulement par ces mêmes
médias qui les ont créés. La boucle est
bouclée. On passe de la violence d'état à
la violence des médias.
Souvent incompris à sa sortie, pourtant d'une richesse
thématique infinie, Natural born killers philosophe
tout à la fois sur la violence aveugle, sur la sexualité
sans frein, sur l'emprise de la TV et sur l'animalité
/ la nature.
Il exerce toujours sur moi la même fascination que lorsque
je l'ai découvert, médusé, dans une salle
obscure.