Il suffit d'une poignée de minutes pour que l'ambiance
s'installe, s'impose même : le film sera cru, blême
et traitera d'une maladie originale.
Les rares premiers dialogues sont sans équivoque là-dessus
: maladie, virus informatique, cancer supposé ou addiction
au sexe : Shame évoque un cas de nymphomanie
masculine, un homme prisonnier de son addiction, une petite
descente aux enfers dont le remède, un temps évoqué,
pourrait être l'amour (la scène de sexe ratée
avec sa collègue démontre que ce remède
ne peut avoir d'emprise sur lui ; la fin est aussi libre d'être
interprétée dans ce sens). Comme pour mieux appuyer
son thème, le réalisateur a choisi une photo grisâtre,
verdâtre ou jaunâtre, pâle, pour les quelques
scènes plus "chaleureuses", des couleurs maladives,
dépressives, qui enferment le spectateur ; de même
que les plans serrés, très souvent fixes que nous
offre MacQueen, ainsi qu'une véritable obsession, dans
les décors, pour les lignes verticales (les scènes
d'intérieur), telles les barreaux de la prison mentale
de cet homme.
Il y a également beaucoup de silence dans ce film, ces
silences évoquant la solitude et le renfermement, et
quand musique il y a, c'est sur un ton monocorde et triste joué
au piano ; ou de la musique tonitruante qui pourrait être
synonyme d'une douce folie en comparaison avec les silences
usuels de cette oeuvre.
Ici on parle de sexe pour le sexe, objet du simple plaisir,
véritable drogue, le sexe sous toutes ses formes, le
besoin de sexe, presque vital, obsédant et parfois douloureux,
le sexe sans conséquence, simple nourriture du corps,
le sexe sans âme, égoïste presque. Sans tabou.
Le film est par ailleurs parsemé de symboles, phalliques
ou autres (le cartoon en fond où l'on aperçoit
un personnage qui "papillonne" d'un endroit à
un autre). On ne connaîtra pas les causes de cette "folie"
même si on les devine derrière l'histoire de la
soeur du héros, possédant la même addiction
et dont on nous suggère une certaine tendance à
l'amour incestueux ; amour que le héros rejette sans
doute pour deux raisons : la première est que la seule
relation que cette homme peut avoir avec une femme est sexuelle,
et que, ne pouvant briser ce tabou -l'a-t-il déjà
été par le passé ? Et ce serait la seconde
raison...-, il entre en conflit avec elle. (...).
C'est une oeuvre contemplative, froide comme le fut Crash
de Cronenberg, et à la fois envoûtante malgré
cette réalisation très en retrait. Une oeuvre
d'atmosphère dont la fin ouverte laisse méditer
: cette fois c'est la femme qui le regarde en premier, son regard
est sans doute moins lascif (il ne lui regarde pas les jambes,
seulement le visage) et on ne le voit pas se lever malgré
l'invitation. Sans doute un film qui traite frontalement, sans
ambiguité, du désir masculin, plus animal, plus
décérébré et à la fois plus
fantasmatique que romantique ou tout du moins motivé
par un sentiment... le sexe comme un mal à peu près
assumé car il existe une seconde interprétation
à la scène finale : on peut également penser
qu'il va replonger dans son vice puisque faire l'amour par amour
-ou supposé tel puisqu'il refoule un temps son désir
obsessionnel en jetant tous ses livres pornos- ne fonctionne
pas techniquement (la panne), puisqu'il a été
"guéri" par l'amour physique de deux prostituées,
ou supposé telles, et devrait répondre à
l'invitation de la jeune fille.