Comment aborder la critique de ce monument de l'année
2011 ? En vous précisant qu'il s'agit pour moi d'un très
bon film ? Imparfait mais très drôle ? J'ai mieux
: je vais en en faire une étude comparative avec Bienvenue
chez les Ch'tis ! Deux comédies à la sauce populaire
avec sensiblement le même succès homérique
en salles mais avec d'importantes différences qualitatives.
Petite précision technique que je me dois de faire avant
toutes choses -mais si vous suivez l'actu du box office sur
ce même site vous le savez déjà- et qui
tient au parcours des deux films : l'écart entre la longévité
basé sur le bouche-à-oreille d'Intouchables et
l'effet de masse irraisonné qui a donné la plupart
des entrées aux Ch'tis en seulement deux mois. La première
différence tient donc au contenu : Intouchables joue
sur différentes gammes d'humour, un humour à deux
voix, un rien plus "corrosif", plus rentre-dedans
et surtout décomplexé, un humour recherché
que l'on retrouve nulle part ailleurs ; les Ch'tis se contentent
de recycler plus ou moins les mêmes vannes, notamment
celles ayant attraits à la différence de parlé.
Intouchables possède de véritables qualités
de réalisation : des gros plans que ne se permet jamais
Boon, des scènes plus "crues" filmées
caméra à l'épaule, une photographie moins
lisse (un comble les Ch'tis -dont la photo est pourtant le seul
point totalement positif-, film qui parle quand même de
mauvais temps !). Autre différence : le traitement du
sujet ne tient pas seulement à la comédie mais
marie les genres : le drame est présent dans Intouchables,
pas seulement le drame du personnage que joue Cluzet, mais également
celui d'un grand gamin de banlieue, pauvre, délinquant
et qui ne peut soutenir une famille aux abois (l'un des enjeux
important du film). Boon ne prend aucun risque et la comédie
n'est jamais mis en exergüe par autre chose que par elle-même
dans cette grosse machine à faire rire, minutée,
programmée, et dont on sent l'écriture franchement
artificielle. Autre chose : les personnages sont émouvants,
touchants et ont une vraie présence dans Intouchables,
au-delà de la diégèse du film (le côté
"histoire vraire" peut-être...) : des personnages
aux différences marqués, aux drames complexes
(pas seulement le handicap mais également l'amour, sa
perte, sa recherche, et finalement l'acceptation complète
de sa condition pour Cluzet ; pas seulement la réinsertion
pour Omar mais le rapport à la mère, la protection
de la famille et ses aléas), des personnages qui interagiront
véritablement et changeront au contact l'un de l'autre,
leurs différences apportant à l'autre ce qui lui
manquait, sans pour autant changer leur nature profonde ; un
enjeu flou et subtil. Dans Bienvenue chez les Ch'tis les personnages
restent interchangeables avec n'importe quel personnage de n'importe
quelle comédie française lambda, ils restent filiformes
et vagues derrière leurs gags trop écrits (on
sentirait d'ailleurs un peu d'impro dans Intouchables, le côté
"One man show" d'Omar que Boon perd en passant sur
grand écran). Des personnages peu ambitieux qui n'auront
que l'intéret simple et simplet de comprendre au bout
d'une heure cinquante qu'ils sont tous identiques.... l'enjeu
est aussi limpide que maigre. Le traitement du thème
de l'amour est d'un ennui mortel chez les Ch'tis, très
"Hélène et les garçons" alors
qu'Intouchables se permet un traitement plus complexe, plus
sensible, moins linéaire ; un double intéret pour
une double histoire là aussi très différente
quant au rapport aux femmes des deux protagonistes. Dernier
point : O. Sy apporte un énorme plus au film, de par
son statut comico-dramatique mais également grâce
à cet aspect plus rassembleur qu'aucun personnages franchouillards
et vieille France de Bienvenue chez les Ch'tis n'apportait,
excluant d'emblée les gars comme moi qui ne se reconnaissaient
dans aucun d'entre eux. Intouchables n'est pas pour autant un
chef-d'oeuvre du 7ème art : son écriture reste
rectiligne, il y a quelques scories, quelques imperfections
mais les qualités priment. Bon : maintenant vous savez
vers lequel va ma nette préférence ! Petite remarque
: les 3 ténors du box office historique en France sont
maintenant Titanic, Bienvenue chez les Ch'tis et Intouchables
(mais si, mais si !) : le premier met en scène un personnage
pauvre découvrant l'amour chez une riche, le second un
homme du sud découvrant des amis chez les gens du nord,
le 3ème un banlieusard découvrant un sens à
sa vie chez un bourgeois... le thème de la différence
: la recette du succès est-elle par là ?