Le chaînon manquant entre le film d'aventure cinématographique
et le manège à sensation dernier cri de chez Disney
resort et Cie ? En tous les cas le but est atteint si c'est
le but de cette entreprise, haut-le-coeur compris, sensations
de planer, en tous les cas d'apesanteur, intensité des
perceptions...etc. Et si la 3D est sans aucun doute ce que l'on
a fait de mieux jusqu'à présent il n'y a pas beaucoup
de critiques qui sont allés plus en avant dans l'analyse
de toutes les causes de cette expérience aussi unique
qu'inédite : la première qui m'a mise en émoi
est la bande-son incroyable et proprement renversante qui puise
dans cette impression de réalisme parfait, de vivante
expérience : jusqu'à entendre le bruit des vibrations
électriques que l'astronaute entend lui-même par
le biais de sa combinaison hermétique, en vissant dans
le vide spatiale, le battement de son coeur et la circulation
de son sang dans ses veines, son souffle, son haleine... Impossible
de ne pas se mettre à la place du personnage, difficile
d'imaginer que l'importance du son n'ait pas été
très justement étudié pour le film ; adjoint
à la 3D, notion grandement visuelle, voilà que
l'on a soudain l'impression de sentir le siège bouger,
la salle se mouvoir, voilà que l'on se projette tellement
dans l'oeuvre que cela en devient troublant de "réalisme
vivant" ou vibrant.
Mais il est certain que le travail d'orfèvre de Cuaron
n'est pas plus étranger à cette illusion parfaite
-et à mon sens qui perdurera dans le temps- : tout d'abord
les sensationnels placements d'une caméra qui nous emmène
dans le spectacle (alors que la 3D l'amène à nous)
participant à cette impression que les acteurs ont effectivement
tourné dans l'espace et mettant tout de suite de côté
un aspect "studio" ou même CGI qui décrédibiliserait
totalement l'expérience. Mais Cuaron est encore plus
génial que cela : les quasi plans séquences du
début ne sont jamais de l'esbroufe visuel mais bel et
bien un effet de "ressentir" profondément humain,
une vie à l'écran comme la nôtre, sans montage,
sans effets cut ; à noter le plan exceptionnel de l'actrice
qui part vers l'espace infini en tournoyant, la caméra
se rapprochant presque imperceptiblement, puis se substituant
à son regard : la caméra prend place dans le casque
et devient subjective avec une harmonie parfaite, explorant
ainsi l'émotion du personnage, la sensation de vide,
la peur du personnage, son sentiment de perte soudain. Puis
les plans vont être peu à peu raccourci pour finir
par nous étouffer, comme S. Bullock dans la navette,
mais tout en laissant au spectateur ce besoin de souffler, de
vivre pleinement l'expérience. Revenons par ailleurs
sur cette actrice qui est pour moi l'une des pires oeuvrant
dans le cinéma américain actuelle (désolé...)
et pourtant, alors que j'étais prêt à lui
faire mordre la poussière de ma critique, je n'ai strictement
rien à lui reprocher, elle est parfaite dans ce rôle
de personnage perdu, et dans la vie et dans l'espace, apportant
la touche d'émotion qui l'épaissiront à
très juste titre sans pour autant jouer sur le pathos
et nuire au propos. La scène du "suicide",
presque métaphysique, peut-être la moins "réaliste"
de l'oeuvre, apporte pourtant la profondeur nécessaire,
comblant le vide laissé par le drôle Clooney, le
guide de l'espace et de l'âme...
Un petit reproche tout de même, non pas pour casser le
mythe mais bien afin de rester complètement objectif
vis à vis de cette expérience extraordinaire :
le scénario. Simple aventure réaliste qui néanmoins
pâtit d'une chose : sa progression. Je m'explique (spoilers)
: imaginez le même film, non pas dans l'espace mais sur
notre bonne vieille Terre. Deux personnages tombent en panne
de voiture ; pneu crevé. Ils changent le pneu mais la
roue de secours est elle-même à plat. Ils vont
chercher de l'aide et finalement piquent une roue sur une voiture
abandonnée, l'un deux a par ailleurs un accident. La
roue est enfin changée mais cette fois c'est le moteur
qui ne démarre plus, puis le moteur démarre et
les freins lâchent... Je que j'entends par là c'est
le complot mécanico-physique pas assez finement traité,
grossièrement mis en avant dans le film, encore trop
à l'état "écrit", qui en font
un parfait scénario hollywoodien, et qui aurait mérité
un traitement plus subtile, moins visible, plus globalisant,
mieux fondu dans cette même épreuve ; même
si le reproche est minime dans la mesure où toute l'expérience
découle de cet enchaînement improbable, sans doute,
mais tellement explosif d'intensité.
Gravity est un genre de film auquel nous n'avons
pas encore été habitué : il ne joue plus
sur le rapport uniquement moral que l'on peut avoir avec n'importe
quel scénario de n'importe quel film, bon ou pas, intelligent
ou pas, mais sur un nouvel état que tous les éléments
cités plus haut nous apportent enfin à la perfection
; un rapport physique à l'oeuvre dans la mesure où
l'on ressent tous les chocs, tous les mouvements, l'intensité
quasi charnelle, presque réelle même si illusoire
d'une histoire comme jamais on ne les a ressenti dans une salle
de cinéma classique. Hollywood vient indubitablemnt de
trouver la façon la plus intelligente qui soit de contrer
le téléchargement illégal en apportant
au spectateur quelque chose de totalement nouveau qu'en bon
cinéphile il ne pourra jamais reproduire dans son salon...
Si après ça vous téléchargez encore
des dvd rippés, c'est que vous n'avez effectivement rien
à foutre ni dans une salle de cinéma, ni devant
une oeuvre digne de ce nom.