Un professeur remplaçant débarque dans un lycée
poubelle.
Sur un schéma différent de ce dont nous avons
coutume, entre confidences face caméra et pure fiction,
Detachment est une introspection abyssale.
Et T. Kaye jette un regard sur ses contemporains, sur la triste
déchéance humaine.
C'est le regard que Tony Kaye porte sur notre monde, celui qui
l'entoure, 14 ans après nous avoir offert l'un des 50
plus grands films de l'histoire du 7ème art : American
history X ; un film qui parlait déjà d'éducation.
C'est par le prisme du monde de l'éducation, de la jeunesse,
que le réalisateur va réfléchir, de façon
certe désabusée, d'une noirceur sans concession
et hautement pessimiste, mais il va nous donner son point de
vue sur la santé mentale de notre société
: ces filles réduites à l'état de vulgaires
putes par l'image qu'on leur renvoie, des êtres humains
vidés de leur substance, des écoles dépassées
par une société où la jeunesse a été
laissée de côté, voir abandonnée
par des parents à la dérive ; ces parents qui
ont un rôle abominable dans le film, de par leur absence
et ses conséquences, de par les secrets qu'ils cachent,
de par leur lâchez-prise ou leur manque de "savoir
éduquer". Le film est à la fois poétique
et sinistre, hautement dramatique -puisque de multiples drames
vont s'y jouer, tous plus ou moins reliés par un thème
central- et pourtant traversé par quelques lueurs d'espoir.
Très engagé, je dirais même intellectuel,
dans la bonne appréciation du terme, relevé de
dialogues et de monologues qui méritent que l'on s'y
arrête dessus, que l'on y réfléchisse intensément.
Cette oeuvre est une perle, d'une grande sensibilité
sous ses allures de "film écorché vif",
grinçant mais bouleversant et déchirant : un film
dont on pourra tous tirer des leçons, des pistes de réflexions
personnelles. Kaye nous livre à nouveau un film révoltée,
critiquant vertement un système capitaliste qui oublie
les esprits et destruit les âmes humaines
A. Brody y trouve sans aucun doute l'un de ces meilleurs rôles,
il se fond au personnage et on sent que l'acteur a eu un véritable
coup de coeur pour le scénario ; il y dégage une
puissance, une présence faramineuse. Et puis nous avons
la caméra et le regard impliqué de T. Kaye qui
nous offre une réalisation en état de grâce,
moins emphatique qu'incisive, dosant savamment ces effets à
des fins littéraires plus que purement esthétisant
(flous, zooms avant abrupts, inserts, animations, noir &
blanc, flash-backs, montage parallèle...etc ; on appelle
cela de la "grammaire cinématographique").
Un oeuvre faussement réalisé au feeling où
chaque scène est marquée d'une empreinte unique.
Le montage est d'une éloquence rare, faussement désordonné,
pourtant limpide et séduisant.
Detachment est traversé de tant de moments
de grâce et de thèmes sublimes et somptueusement
traités, de personnages tous aussi puissants les uns
que les autres : ce professeur que l'on imagine devenu fou,
cet autre adepte d'étranges pillules, ces personnages
forts en apparence qui s'avèrent si faibles, ces élèves
tous plus perdus les uns que les autres, ce grand-père
au seuil de la mort avec son secret ; le thème de l'invisibilité,
du "vide", celui de l'amour perverti qui a perdu ses
codes essentiels, celui des rapports ado/adultes, celui de la
mort associé à la délivrance, celui de
l'école (= intéresser les enfants avant de leur
inculquer quoique ce soit, c'est les faire grandir avant de
les rendre intelligents) ; le discours d'Hitler inséré
(???), des scènes chocs mais pudiquement mises en scène,
la métaphore sur "La chute de la maison Usher",
ces images de couloirs vides, de classes chaotiques...
Un film de fond pour qui saura le comprendre et ouvrir grand
son esprit, un film important mais rude. L'idée majeure
de cette oeuvre magistrale est induite à la fois par
son titre et sa conclusion : c'est la pratique du détachement
comme d'un art de vivre... à vous de voir et de juger.