Un film pour égratigner l'après-Golden years,
ses quartiers résidentiels au charme apparent, remplis
de poupées Barbie et de Ken, de bourgeois semblant tellement
heureux qu'ils en oublient leur racisme traditionnel et quotidien.
Quelle excellente idée d'écrire / de faire un
film sur ces personnages de bonnes, de servantes, ces figurantes
d'un cinéma américain bien-pensant qui n'avait,
à une certaine époque, que quelques lignes de
dialogues et à qui, ici, on donne enfin la parole. Elles
ne sont plus qu'un simple élément du décor
sudiste mais des personnages à part entière, des
héroïnes dans cette oeuvre qui leur rend enfin justice.
Mais le film possède également l'avantage historique
de nous présenter les années 60 sous un nouveau
jour, ou plutôt sous un angle plus réaliste qu'à
l'accoutumée : une société ridée
par les paradoxes les plus abominables, les plus incroyables,
suffisamment hideux et ancrés dans les moeurs pour que
personne, ou presque, n'ose regarder dans le miroir des amendements
de la constitution américaine (le 1er : la liberté
de parole ; le 13ème : l'interdiction de l'esclavage
; le 14ème : la citoyenneté...etc). Une société
où règne en maitre absolu l'hypocrisie la plus
infamante.
Ce film pose tout de même une question extraordinaire
: savoir qui est plus humain, la négresse haït et
rabrouée qui, pourtant, élève des petits
blancs comme si c'était ses propres gosses (tout en sachant,
comme il est dit, que ceux-ci la haïront sans doute à
leur tour une fois grand...), ou les fainéantes blanches
haïssantes et jalouses qui ne daignent même pas lever
le petit doigt pour s'occuper de leur propres enfants quand
ceux-ci sont en pleurs ; ça me rappelle un peu la royauté
française... Ce film a la brillante idée de mettre
une nouvelle fois les américains face à leur histoire,
face à leur racisme, sous un jour nouveau ; il en ressort
une chronique délicieuse, extrêmement juste, au
ton frais et virevoltant, jamais naïve, révoltante
plus que révoltée (le sujet se suffit à
lui-même...), forte et touchante, émouvante et
solide, drôle et triste à la fois, jamais manichéenne.
On sentirait presque la brise des états du sud sur notre
cou, l'odeur de la bonne cuisine, celle de la gomina ; la réalisation
est aussi suave qu'adaptée à son sujet.
Les personnages sont pour beaucoup dans le succès de
cette oeuvre : Mimy et sa forte personnalité qui trouvera
"sa voix", Celia et son lourd trauma (l'un des personnages
les plus touchant du film : elle inspire toute la pitié
de sa "race"), la philosophe Aibileen dont la scène
des adieux est bouleversante, les garces du quartier qui sont
devenus méchantes à force de s'ennuyer, Eugenie
la journaliste qui est au centre de ce récit, jusqu'au
mari de Celia que l'on verra pourtant très peu ; un panachage
équilibré qui fait la part belle aux personnages
secondaires, aux histoires multiples, typiques et singulières
qui vont mettre à jour le fait que dans une société
ouvertement raciste l'état d'esprit, la façon
de pensée, est plus dûe au conformisme sociale
(la mère d'Eugenia qui s'écrase devant la présidente,
les femmes qui s'écrasent devant Elizabeth) qu'à
de personnelles convictions ; seule la journaliste qui se trouve
un peu à l'écart de cette société
(de part sa personnalité et sa vocation) aura le recul
nécessaire pour briser cette conformité aberrante.
Une oeuvre qui méritait que les américains se
penchent dessus, une oeuvre qui aurait mérité
que les français s'y penchent un peu plus dessus avant
les élections présidentielles...