Quelles sont les différences fondamentales
entre écrire un scénario pour un film et écrire
un "scénario" pour un jeu vidéo ; il me semble
que cela est plus complexe, plus labyrinthique pour un jeu, je me trompe
?
"Pas du tout, mais ça ne « se joue pas » réellement
en ces termes. Le jeu vidéo a besoin avant tout d’univers,
de nœuds dramatiques, de challenges, d’action… De plus
il est résolument tourné, dans la plupart des cas, vers
l’international. Les gros marchés sont les US, l’Allemagne,
la grande Bretagne par exemple… L’écriture dépend
aussi du type de console et de technologie utilisée pour le «
faire tourner ». Un jeu Nintendo DS, ne s’imagine pas, ne
se conçoit pas comme un jeu X Box ou PS3… En fait, il faut
bien voir que malgré le fait que le jeu vidéo est né
en 1972 (Pong : 36 ans déjà !) il a moins de background
que le cinéma, car son environnement technique mute drastiquement
tous les 3 ou 4 ans. De plus Counter Strike, par exemple ou WOW, n’ont
pas besoin de scénarios… Ils ont besoin de multiples possibilités
offertes au joueur qui intervient. Et dans le cas où le jeu est
scénarisé entièrement, y compris les dead ends
et autres game over….Le but du jeu est d’immerger le joueur,
qu’il ait une prise en main rapide de l’outil…. Sans
qu’il se sente guidé par la main. Les contraintes de production
sont aussi différentes… Vous connaissez beaucoup de boites
de prod capables de payer pendant 4 ans100 techniciens, artistes, graphistes,
animateurs… pour sortir un film ? Moi pas.
Le cinéma est un média « stable » en numérique
ou en 35 mn il a fondamentalement besoin de bonnes histoires (enfin
il devrait). Le spectateur est immergé, mais il vient dans une
salle, s’installe devant son écran plat… Pour suivre
le déroulement d’une intrigue. Là aussi il faut
le hooker, le surprendre… Mais fondamentalement il n’a pas
« la main ». La seule interactivité possible, c’est
juste de faire fonctionner son cerveau pendant le déroulement
du film et essayer de découvrir « le pot aux roses ».
Là le scénariste se doit d’être une sorte
d’escroc ou d’escamoteur… Toute la vérité
n’est pas donnée au départ et il faut laisser aux
spectateurs des temps de respiration. On peut jouer avec le temps au
cinéma, changer les points de vues, montrer des actions en parallèle
et surtout susciter des émotions que le jeu vidéo n’offre
pas encore, mais ça viendra j’en suis sûr…
Auparavant, un joueur pleurait quand le jeu était buggé
et qu’il ne pouvait pas le finir… Dans un proche avenir,
grâce aux progrès techniques, les personnages virtuels
vont vraiment « prendre vie ». On pourra lire sur leur visage,
dans leurs yeux, à leur attitude de l’émotion. En
résumé, c’est peut être le même «
fond de commerce », mais adapté à des outils fondamentalement
différents voire opposés."
Alors ? Lequel de ces 2 exercices est le plus excitant pour un créateur
? Lequel préfères-tu ?
"Pas de préférences. Le plus excitant c’est
de faire un truc nouveau, avec un challenge personnel en termes d’idées
que l’on peut apporter pour « nourrir » le projet,
de travailler avec des pros qui savent de quoi ils parlent, de penser
qu’on peut trainer sa pierre qui servira à bâtir
la pyramide et la poser là où elle doit être. Le
pire c’est d’être entre les mains de cons incompétents
persuadés d’avoir la science infuse. Le scénario
est un métier de doutes… Même terminé, on
n’est jamais satisfait à 100%... Et puis un scénar
est une marche de l’escalier. C’est un outil de travail.
Pas produit ni tourné, ni développé en jeu, un
scénar n’est rien. Ce n’est pas un roman. Il ne se
suffit pas à lui-même."
Reconnais-tu des influences majeures concernant Alone in the dark,
issues du cinéma ou de la littérature ?
"Lovecraft bien sûr… En écrivains de la même
trempe : Dan Simmons, Stephen King, Arthur Machen, Jean Ray, Jose Luis
Borges. En ciné la Hammer principalement, plus ça et là
quelques clins d’yeux à Orson Welles
(voir les plafonds dans le jeu), La
maison du diable (le livre et le film… mais attention en noir
et blanc, la première version), les films Universal aussi, ceux
avec Karloff et Lugosi (merveilleux metteur en scène qu’était
James Whale), sans oublier Tod
Browning et Jacques Tourneur (RKO
et suivant : La marque du démon : c’est à tomber),
Murnau. J’en laisse surement passer
: Les 3 premiers volets de la série étaient orientés
du coté des « classiques » ; ce qui dans ma bouche
n’est pas péjoratif… Kubrick
est d’entrée de jeu dès son premier long, un metteur
en scène « classique ». Et puis pourquoi le cacher,
j’ai un coté « fan de ». C’est bien de
citer ses sources (je cite, je ne balance pas)."
Des commentaires sur l'adaptation de ton jeu au cinéma ? Aimes-tu
le film ? As-tu eu ton mot à dire, notamment sur le scénario
? Comment tout c'est déroulé ?
"Quand à Alone le film (?) Pas vu et rien à en dire
de plus, j'ai juste lu le script de Uwe... Je ne sais plus qui en V.O.
(Boll) J'ai alors décroché
mon téléphone et appellé Bruno Bonnell qui me l'avait
fait passer. On était d'accord. Et dire qu'à un moment
donnéles frères Weinstein voulaient le faire... Ca a capoté
pour des histoires d'avocats californiens qui jouent à "qui
a la plus grosse". Vu les critiques et ce que j'ai pu en voir (je
me refuse à louer un DVD, à le pirater, à regarder
en action le triste script que j'ai lu) et quand je pense aux gens talentueux
qui ici ou ailleurs attendent 3 francs six sous pour nous faire rèver
sur un écran que dire ? Barnum (le patron de cirque) avait coutume
de dire "chaque minute, il nait une poire". Désolé
pour ceux qui ont payé pour cela, je ne peux pas les rembourser,
je n'y suis pour rien... Mais si une association du style killthatfuckingmoronwithapumpgun.com
se crée, je veux bien être trésorier et financer
le poste munitions."
Pourquoi l'adaptation ne s'est pas fait strictement en France
avec un réalisateur de renom ?"
"Il y avait Christian Slater en star et sans doute une trentaine
maxi de millions de $ sur la table. D'autre part le "metteur en
pièces" qui a commis ce machin, est un dangereux multirécidiviste.
Ed Wood au moins était gelé, avait une vision... Une vision
à 2 balles, mais une vision. Le virus du cinéma. La possession
de soi a toujours un caractère sacré. On en rit, on en
leure, mais cela se respecte. Pour Alone, je crois que l'idée
géniale des marketteux de tout bords a été de se
dire "on va relancer la licence". Ils l'ont tellement lancée
loin, qu'ils courent encore à sa recherche... Eh les mecs ! Au
lieu de vous rouler dans la bouse, payez vous un GPS ! Et surtout :
faites votre boult. Vous êtes payés pour ça : lisez
les scripts. "
Quels droits as-tu sur la saga Alone in the dark ?
Le droit de voir ce que d’autres en font !
Une question me turlupine : les français ont un mal fou
à s'imposer dans le domaine du film de genre et toi tu fais un
hit, tu crées une véritable référence dans
le genre "fantastique" avec Alone in the dark ; des explications
???
"Non, on est arrivé au bon moment. A l’époque
il n’y avait rien en cinéma fantastique en France. La grosse
surprise a été de voir que ça a accroché
dans le monde entier. Je crois que la vraie explication est complexe.
Alchimie d’une équipe légère, au top de la
motivation, qui s’est arrachée. La « production »
nous fichait une paix relative. Tout le monde avait la même vision…
On se doutait qu’on « touchait du doigt quelque chose de
nouveau », mais franchement… On ne croyait pas que ça
allait prendre comme le feu dans une pinède. Ca a été
très vite. Trop sans doute. L’équipe a splittée.
Un jour si j’écris l’histoire du 1, je comparerai
ça aux groupes de rock…Adrénaline baby. Rebel with
a cause. Ca marche à l‘énergie, le succès
arrive, l’énergie née de la révolte se tasse,
l’argent arrive, les requins aussi entourées de groupies…
Les mecs se casent, prennent du bide, se mettent à faire «
ce qui est sensé marcher ». Du rap, de la musique d’ascenseur,
un long cri de révolte contre l’oppression, les reprises
des standards de Jean Transcène… Bref des conneries marketing.
Alors tout le monde se fâche et la cocotte minute explose. Ce
qui est fantastique avec Alone 1, c’est que ça c’est
fait sur un jeu avec tous les trucs pourris mais pas le reste. La vie
est con !"
Etre seulement consultant sur Alone in the dark 4 et 5, c'était
un choix perso ?
"Pour le 4 c’était sur Paris, ils avaient un scénariste…
On ne peut pas toujours être 2 crocodiles dans le même marigot.
Pour le 5 j’attends encore un coup de fil."
Comment t'es-tu retrouvé derrière l'adaptation
de Une nuit en Enfer ?
"Cryo avait soi disant les droits du film. En fait le contrat n’a
été réellement signé que le jour de la présentation
du jeu à la presse française, un an plus tard. On avait
à l’époque une boite de développement : Gamesquad
et on venait de terminer Devil Inside… On était un peu
spécialisé dans le genre horrifique… Perso, j’espérai
rencontrer Tarantino un jour… En fait on a fermé la boutique
peu après. On a juste vu le tribunal des référés
et puis on a fermé. J’aurai préféré
voir Tarantino."
Est-ce qu'un créateur de jeu vidéo est forcément
un gamer fou ; en es-tu un ? Quels
jeux forcent ton admiration et pourquoi (tu mates plutôt le graphisme
ou scénario d'ailleurs ?) ?
"Je suis un très mauvais joueur. J’ai 2 mains gauches
et pourtant j’adore es jeux d’action style blast’em
all. WOW, mais qui est trop addictif pour moi qui ai une famille et
un job (en gros : « c’est de la blanche », si tu plonges,
c’est à vie) . Pour le reste je voudrai bien voir à
quoi Spore ressemble. Sinon, c’est plutôt un tout, comme
au ciné… Si il doit y avoir un scénar autant qu’il
soit bon, sinon c’est 50% du jeu qui fiche le camp, pareil pour
les anims, pareil pour le son… Tout est à 50 %. Je connais
des jeux et des films ratés à 500%."
Qu'est-ce qu'une bonne adaptation de jeu vidéo au cinéma
(si cela existe) selon toi
? Tu as des exemples concrets ?
"Franchement, rien qui ne me vienne à l’esprit, pas
plus qu’un exemple valable dans l’autre sens… Mais
je n’ai as vu Hitman par exemple, donc assez mal placé
pour porter de jugements…"
Au fait : Ca coute combien de créer un jeu vidéo
actuellement en France ?
"Impossible de répondre à cela d’une manière
concrète. Ca dépend de la plate forme, du contenu, de
l’ambition… Pour être vraiment concret… Le même
jeu, ou presque, fait en France coutera 100, au Canada il revient à
70 et en Ukraine il en coutera à l’éditeur 50."
Lady Blood sera-t-il un film - 16 ans ?
"J’espère bien. Je n’aurai pas laissé
pas ma fille qui avait 16 ans à l’époque où
je l’ai écrit (elle en a 18) aller voir de quoi son père
et ses compères sont capables."
Pourquoi tu n'as pas également réalisé
(ou co-réalisé) Lady Blood ? Qu'est-ce que tu as apporté
au scénario par rapport à ton vécu de scénariste
de jeux vidéos ?
"D’une part je n’ai jamais rien réalisé
de ma vie sauf deux super huit avec des potes quand j’avais 16-17
ans… Sur ce que j’ai apporté, il faut le demander
aux autres coscénaristes Emmanuelle Escourrou et Jean Marc Vincent.
Mais avec JMV on a tellement l’habitude de travailler ensemble
(lui aussi a fait du video game) qu’on bosse souvent sur le «
gameplay » du film, les règles du jeu… Comment on
passe d’un niveau à un autre… le genre de trucs typiques
que l’on met en œuvre dans la préprod d’un jeu.
Faut pas se tromper. Les « mangeurs de films », se baffrent
aussi de jeux. Les produits culturels ou de contenus se concurrencent
entre eux et leurs utilisateurs, fans, spectateurs… réagissent
par apport à l’état de l’art… Sur certains
domaines (Heroïc Fantasy par exemple), essayez de faire mieux que
la trilogie du seigneur des anneaux réalisée par P.
Jackson… Eh bien bonne chance… Dans 10 ans peut être,
mais pas avant."
En écrivant Lady blood qu'est-ce qui te préoccupait
: rester fidèle à l'original - faire le film le plus flippant
de la création - trouver un angle d'approche idéal afin
de faire le plus d'entrées possible - faire un film aussi marquant
que tes jeux vidéos - faire quelque chose d'original, de neuf
?
"Juste faire un bon film que j’aurai envie d'aller voir…
De me surprendre moi-même et d’arriver à faire peur.
Quand on attaque ce genre de travail, on passe aussi un contrat avec
soi même. En ce qui me concerne il comporte plusieurs clauses
dont une qui est importante. Si ça me plait, que ça résiste
aux relectures et que « ça continue à le faire »
j’achète. Si celui ou ceux qui écrivent ne s’amusent
pas où n’éprouvent pas d’émotion à
l‘écriture, à quoi bon ? Le spectateur a de grandes
chances de le ressentir et va être déçu. Déjà
que la concurrence est rude…"
Est-ce que tu classes Lady blood dans la "nouvelle vague"
du cinéma horrifique hexagonal (A l'intérieur, Frontière(s),
Martyrs..etc) ou est-ce un film à part ?
"Quoi qu’il en soit et quoi qu’on dise, il est dans
ce courant. C’est le meilleur, le pire où juste un film
de plus ? Franchement je ne sais pas. Ce qui est bien c’est qu’enfin
le cinéma Français retourne à ses racines, Lumière
et Méliès. Moi c’est
Méliès pour ce type de films. Il y a eu Franju,
Feuillade… Et une longue tradition
souterraine de « besoin de fantastique » dans le cinéma
Français (la main du diable, sortilèges…) qui a
stoppé net avec la fascination des 30 glorieuses pour le formica,
les prisunic et la bagnole… Ca a été la fin «
des veillées ». D’autres sont venus non plus pour
nous montrer des destins, mais pour nous raconter des histoires (je
l’entends au sens péjoratif du terme : racontes moi pas
des histoires !) Là on revient aux fondamentaux… On sait
bien que la taille du marché ne permet pas encore de songer à
rivaliser avec un polar français du même calibre (flic
qui boit et autres descentes dans les quartiers chauds) mais rien n’est
éternel non plus. Les codes culturels changent et surtout un
marché existe. On peut y gagner du blé. Beaucoup de blé…
Dans les films que vous citez dans votre question, le vrai challenge
va être : combien de metteur vont partir d’ici pour travailler
ailleurs avec de plus gros moyens pour un marché international,
donc anglo-saxon… Alexandre Aja détient
une partie de la réponse."
A propos maintenant de Lady blood : des commentaires sur le
tournage, les conditions de tournage que l'on imagine différentent
de celle d'un blockbuster ?
"Tout a été tourné en France, Paris et La
Rochelle. La post prod ou du moins une partie a été délocalisée
au Luxembourg pour des questions de co-prod…D’autre part
et dès les premières discussions, il était clair
que ce n'était pas pour le « club des 10» : je parle
des 10 ou 15 comédiens sur les noms desquels on peut monter un
projet, ce qui veut dire passer sur une chaîne de grande audience
à 20 h50. On tenait un projet « couillu » mais difficile
à financer. Au point de vue des aides, si vous écrivez
pour réaliser un premier film qui parle de vous (en général
le sujet qu’on est sensé connaitre le mieux) on arrive
toujours à décrocher un truc. J’ai eu, hélas
une enfance heureuse, j’étais un enfant aimé, mon
adolescence a été loin d’être boutonneuse,
j’ai toujours essayé d’être gentil avec tout
le monde… Ca n’intéresse que moi et encore !
Je n’ai pas encore vu le film, ce n’est pas de la coquetterie,
mais j’habite Lyon et ça se fait à Paris. De plus
j’estime que tant que « ça n’est pas fini »,
cela ne sert pas à grand-chose. D’autre part, c’est
« quelque chose » qui une fois sorti ne vous appartient
plus. Le film devient a propriété du spectateur qui peut
l‘aimer, le détester où ne même pas venir.
Je sais que les conditions de tournages ont été dures
(j’y étais sur 1 semaine et demie). Les raisons ? Devinez
? Ce qui fait tourner le monde ce n’est hélas pas l’amour.
C’est la thune."
Qu'est-ce qui manque au cinéma d'horreur made in France
pour exploser dans les salles comme le font les films US (même
réalisé par des frenchies = Mirrors) ? Des distributeurs
plus couillus ?????
"Surement des moyens pour déjà, au départ
pouvoir s’aligner ne serait-ce qu’en termes de communication
et de plan média avec un produit équivalent américain,
par exemple. Et puis un succès public, quantifiable en retour
sur investissements donc hautement profitable doublé d’un
vrai statut public qui dépasse le cadre des « hardcore
audiences. Là ça mordra. Le succès va au succès
et l’argent à l’argent. L’argent n’est
pas con."
A ce propos : Quelles sont les films d'horreur qui t'ont le
plus marqué récemment ?
"Le seul film du genre ces derniers temps a été Mirrors,
mais franchement j’ai raté plein de plein de films, parce
que je travaille sur autre chose."
Justement : Qu'est-ce que tu nous prépare actuellement
?
"Plusieurs trucs à la fois en fait. Il y aura du polar,
de l’histoire mais avec un grand H et quelque chose sur deux parcours
individuels que le destin va infléchir. En fait comme d’hab.
Des gens ordinaires plongés dans des situations particulières
où ils doivent réagir, s’adapter, grandir pour résister
et enfin contre attaquer… Je n’écris pas des histoires
de héros, je ne m’intéresse au fond, qu'aux survivants."
Un très grand merci à toi et à Jean-Marc
Vincent également qui n'est pas innocent dans la réalisation
de cette interview.. et good luck pour lady Blood.
"Un grand bonjour et merci à vous."