Interview Hugo
GELIN, réalisateur & co-scénariste de Mon
inconnue |
- Comment est né le pitch totalement original (sans faire de recherche, je ne trouve pas de véritable équivalent) du film ? D'une angoisse personnelle et de références cinématographiques justement ! A savoir mon angoisse de savoir ce que je serai devenu si je n'avais pas rencontré la femme qui partage ma vie mais aussi les amis qui m'entourent... Est-ce que j'aurais atteint mes rêves ? Est-ce que je serais devenu réalisateur ? Toutes ces questions qui me sont apparues finalement universelles. On peut tous se demander ce que l'on serait devenu si on n'avait pas fait tel choix ou tel autre dans sa vie. C'est l'uchronie, et le cinéma est un terrain de jeu formidable pour, justement, s'amuser de cela mais aussi dire des choses profondes sur les fondements de l'amour et du couple... Et puis y'a aussi quelques films qui ont bercé ma jeunesse et qui me sont apparus comme des références formidables pour Mon inconnue. Il y a avant tout La vie est belle de Capra, chef d'oeuvre total dans lequel les 30 dernières minutes du film sont une pure uchronie : l'ange montre à James Stewart ce que seraient devenus toutes les personnes qui l'entourent s'il n'avait pas croisé leurs routes... et c'est bouleversant. Mon film commence comme celui de Capra se termine quelque part. Il y a aussi, bien sûr, Un jour sans fin avec le génial Bill Murray et c'est pour cela que François Civil s'appelle Raphaël Ramisse dans mon film, en référence à Harold Ramis, le réalisateur d'Un jour sans fin. Et puis il y a plein de films références qui m'ont inspiré chacun à sa manière sur des détails, des directions artistiques, des scènes de comédie... parmi eux, pêle-mêle, il y a Family man, Her, Eternal sunshine of the spotless mind, About time et même Les visiteurs ou Le diner de cons !
- Pourquoi F. Civil & J. Japy se sont-ils imposés à toi comme choix dans les 2 rôles principaux ? Après un film avec une grande star française, Omar Sy dans Demain tout commence, j'avais très envie que la star de mon film suivant soit l'histoire avant toute chose. Et puis j'avais déjà un peu repéré et même commencé à travailler avec François Civil (sur la série "casting(s)" pour Canal + ainsi que dans un un court métrage intitulé Les brunettes, pour un documentaire sur les évasions pour Planète +). J'ai tout de suite aimé la manière de travailler de François, son aisance, sa technique et sa grande sensibilité. Il a ce don qu'ont les plus grands je trouve : une grande technique mais une immense part d'abandon, et l'alchimie des deux rend les acteurs formidables. Pour moi, François, c'est un Belmondo de nos jours, quelqu'un capable de tout jouer en finesse, d'être ténébreux, aventurier, drôle, fort, fragile et attachant. Donc je lui ai tout de suite proposé le scénario. Quand il m'a dit oui, on a lancé un casting pour trouver le rôle féminin qui n'est finalement pas la protagoniste du film mais l'objectif principal, le rôle central de l'intrigue. J'ai fait des essais avec toutes les jeunes actrices de sa génération, en présence de François, pour voir tout de suite ce qui est indicible mais indispensable dans ce genre de film : est-ce que l'alchimie entre eux deux fonctionne ? Est-ce qu'on a envie de les voir s'aimer? C'est impalpable, c'est irrationnel. C'est quelque chose qui ne s'explique pas, ça doit se ressentir. Et ça a été immédiatement le cas quand Josephine Japy est venue jouer aux côtés de François. J'avais mon couple. J'avais envie de les aimer instantanément, ces deux là. Et elle a été formidable dans le rôle d'Olivia, la rendant magnifiquement inaccessible tout en restant extrêmement attachante, la femme idéale pourrait on dire ;-)
- La clé d'une com rom réussie ce sont des acteurs en parfaite symbiose : ça saute aux yeux pour le couple Civil / Japy, mais c'est également vrai pour le duo Civil / Lavernhe. Comment obtient-on cette parfaite alchimie sur un plateau de cinéma ? J'avais besoin de respecter un principe fondamental dans une comédie romantique : ne jamais oublier un des deux mots qui compose ce genre. Il y a la comédie et le romantisme. En France on a tendance à oublier un des deux trop souvent. Soit on fait un film trop romantique et on s'ennuie rapidement, soit on fait un film trop comique, voire potache et on ne croit à rien, on ne s'émeut pas pour les personnages. Donc il fallait que l'histoire d'amour soit en permanence ponctuée par l'histoire d'amitié. Et finalement faire autant une "bromance" qu'une romance. Civil et Lavernhe sont amis dans la vie (lui aussi je l'avais déjà un peu dirigé dans la série "casting(s)") et leur complémentarité m'a tout de suite excité. Il y a une évidence de comédie entre eux, ils s'écoutent tout le temps, aiment être dans le rythme de l'autre et surtout cherchent l'un et l'autre toujours à faire rire l'autre, à l'étonner. Du coup, il n'y a jamais de compétition puérile à celui qui sera le plus drôle des deux, c'était même l'inverse, tout le monde était au service du film et des scènes. Le travail était très précis, avec beaucoup de lectures en amont, des réécritures jusqu'au dernier moment, pour que l'on croit à de l'impro tout le temps entre eux alors qu'il n'y en a jamais. C'est un bonheur absolu de travailler avec de tels acteurs de génie.
- Le film met en avant la notion de destin finalement (ou d'âmes-soeurs) : tu en penses quoi ? C'est exactement ça. Le film raconte que quelques soient les choix que l'on fait dans la vie, on devrait finir toujours par revenir par croiser son âme soeur. Mais pour ça, il faut avoir eu la chance de la trouver ! Civil dans le film va vivre un cauchemar en se retrouvant plongé dans ce monde dans lequel sa femme ne le reconnaît plus... mais l'histoire va l'amener à se rendre compte que c'est finalement une chance incroyable de pouvoir re-séduire comme au premier jour la femme de sa vie. Le cinéma est aussi fait pour raconter ce genre d'histoires... celles qu'on ne voit qu'au cinéma !
- J'ai remarqué ces somptueuses couleurs nocturne-ocre : il y a une symbolique derrière ??? La direction artistique du film a été confiée entièrement à Nina Rives. c'est un poste peu répandu en france car les producteurs sont frileux avec ça, et je trouve ça très dommage car cela donne des films souvent laids ou dans lesquels l'esthétique n'a pas d'importance. On oublie trop souvent qu'un film c'est une histoire bien sûr, mais en images et en sons. Donc j'attache toujours à donner une part importante de mon travail à offrir des images et des sons (donc des musiques) qui ont un sens avec l'histoire ou qui révèlent des inspirations très précises. Cela peut être la coiffure d'une actrice des années 60, la lumière d'un plan d'un film de Spike Jonze, les couleurs d'une photo qui me bouleverse ou encore le cadre d'une toile de Hooper... Dans le commentaire audio du DVD, j'en notifie plusieurs.
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- Comédie romantique & fantastique ne sont pas des genres très prisés des réalisateurs français, peu représentés au cinéma : est-ce la raison pour laquelle Mon inconnue, unanimement acclamé, n'a pas plus fait d'entrées ? Je suis très heureux du succès du film qui n'est pas loin des 570 000 entrées et qui marche super bien aussi à l'international. On a eu plusieurs propositions de remakes. On peut toujours espérer plus mais si on connaissait la formule, on ne ferait plus du cinéma. C'est ce qui rend notre métier unique. Ceci étant, le film connaît une vie en VOD et en DVD formidable. Il se place souvent devant les autres comédies françaises qui ont coûté pour la plupart plus cher et surtout qui présentent des castings de stars. Pour ce qui est du genre du film, j'aime l'idée que justement les réalisateurs français n'ont pas l'habitude de faire ce genre de film. Faire comme les autres, aucun intérêt.
- Je ne suis globalement pas fan de comédies mainstream : que penses-tu de cette hégémonie, au box office, en France ? Il y en a des bonnes et des mauvaises, le mainstream n'est pas forcément un vilain mot mais il faut savoir respecter les spectateurs. Je crois que pour cela, il faut faire des films qui répondent aux attentes des spectateurs et ainsi satisfaire leur plaisir, mais il faut aussi les emmener ailleurs, les surprendre et aller plus loin que ce pour quoi ils sont venus au cinéma. C'est notre rôle. Mais il est vrai que la comédie française connaît certaines productions très marketées, parfois sans âmes et directement destinées à faire de l'audience en télévision, c'est compréhensible de la part des producteurs. Ce n'est pas le cinéma qui me fait me déplacer en salles, je respecte toujours les films qui marchent même s'ils sont très loin de mon ADN. Tous les cinémas ont leur place. Et un film qui marche fait du bien à tout le cinéma français.
- Tu as lu mon analyse du film : ces 1ères scènes à la naïveté soulignée, c'est volontaire ? Je dirai que dans un film, le metteur en scène a tout pensé
de manière volontaire... mais qu'une bonne partie lui a échappé!
C'est la beauté de ce métier... Je te laisse penser ce
que tu veux de ces scènes avec cette réponse ;-)
- (Spoiler) Si je te dis que la morale du film est que l'amour est
plus fort / important que la célébrité (ce que
semble évoquer la fin) : C'est un peu ça oui, mais il y a le sous texte qui dit que Raphaël choisit finalement de rester dans cette vie sans sa femme mais en la sachant épanouie, que de retourner dans sa vie d'avant et retrouver son succès à lu,i mais une femme qui n'est pas heureuse. Raphaël fait un acte féministe à la fin en acceptant cette vie qu'il aime moins mais dans laquelle il la sait à sa place, elle !
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- Le film évoque également l'envers de la médaille
du succès ; justement : l'immense succès de "Demain
tout commence" a-t-il Le succès phénoménal de Demain tout commence, que ce soit en France ou à l'étranger, m'a permis d'avoir une écoute des gens du métier, une attente même parfois. Mais ça ne change pas ma manière de faire. Tant que je ne suis pas intimement persuadé qu'une histoire va m'animer pendant des années, je ne la fais pas. Mais c'est évidemment plus facile de faire des films quand on a montré à tout le monde qu'on savait diriger une star mais aussi une enfant, gérer des cascades, tourner avec des anglais à Londres, construire d'immenses décors en studio ou encore supporter un budget très gros sur nos épaules... Finalement, ce succès m'a aussi permis de comprendre une chose très agréable : quand on fait des films, on les fait pour les gens et quand des gens du monde entier vous en parlent avec des larmes dans les yeux, c'est assez fort. L'autre jour, j'ai entendu dans la bibliothèque de mon fils des adolescents rire à l'étage, je suis monté pour voir et j'ai découvert qu'ils regardaient Demain tout commence devant une petite télévision, chacun avec un casque sur les oreilles. Ca m'a fait sourire. Entrer à ce point dans la vie des gens, par l'intermédiaire d'un film, c'est vertigineux et en même temps paradoxalement intime..
- Un mot sur la regretter Edith Scob... Edith était une grande actrice, une femme merveilleuse, douce, délicate, brillante et pleine de drôlerie. C'est triste de savoir qu'elle n'a pas pu voir le film avant de nous quitter... c'était son dernier film. C'est un grand honneur d'avoir pu travailler avec elle.
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