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Interview

Denis DO, réalisateur & co-scénariste de Funan

En quelques mots : qui êtes vous Denis Do ?

Qui suis-je ? C'est dur de se définir soi-même. J'ai 34 ans, je suis parisien et comme cela me définit beaucoup, je me sens obligé de mentionner que j'ai des origines asiatiques, sino-cambodgiennes plus précisément. Je travail dans le milieu de l'animation depuis presque 10 ans. Depuis quelques temps, j'essaie surtout de parvenir à me consacrer exclusivement à mes projets.

 

Sachant que les comédies sont plus vendeuses, ce n'est pas difficile de trouver des producteurs pour un tel projet ?

Je ne crois pas que trouver un producteur soit particulièrement dur. C'est surtout trouver celui ou celle avec qui, en tant qu'auteur, on va véritablement se sentir en confiance, qui est compliqué. La confiance, mais aussi la personne qui aura le courage, la vision pour accepter de porter ce type de projet.
Dans le cadre de Funan, ça n'a pas forcément été dur. Au tout début, je ne voulais pas rencontrer de producteurs trop rapidement. Mon idée était que le développement du film soit le plus poussé possible avant d'en parler à une production. Entre l'idée initiale et la rencontre avec un producteur, il s'est passé 3 ans.
J'avais une certaine image du milieu de la production. Je croyais que les producteurs ne trouvaient satisfaction que dans l'argent, le pouvoir ou encore les profils de "réalisateur frustrés"... Donc il y avait surtout beaucoup de réticences à en rencontrer. Finalement, par rapport à ceux que j'ai rencontrés, personne ne ressemblait de près ou de loin aux images clichés que j'avais en tête (mais j'ai très certainement eu de la chance).

 

Pourquoi, aujourd'hui, évoquer ce sinistre épisode de l'histoire du Cambodge ?

Il faut prendre en compte que plus les années passaient, plus le projet mûrissait. La notion d'aujourd'hui est assez vague...Je me demanderais plutôt qu'est ce qui en 2009 m'a poussé à vouloir aborder le sujet des khmers rouges. Je répondrais qu'en 2009, tout a découlé d'une discussion avec un camarade de classe. On était en dernière année d'étude de cinéma d'animation. Des histoires, une remarque, et l'étincelle. Notre discussion m'a convaincu de la pertinence de faire un film sur le sujet. Et comme je viens justement de l'animation, ce médium serait utilisé. Et puis c'était le moment de rendre certaines choses tangibles. Des récits, des histoires, devenus intemporels dans mon esprit et que je considère comme un héritage. Et plus je recherchais plus je sentais qu'il était primordial pour moi de passer par tout ça. Une espèce de mise à plat des témoignages de ma mère, des miens.
En soi, parler des khmers rouges n'était pas le but. Mais seulement le contexte. Ce film, c'était surtout l'envie d'évoquer les "miens", dans un sens large. Car ce film est une fiction basée sur des faits réels, issus des témoignages de ma mère.

 

Justement : quelle est la part "biographique" du film ?

Quelques uns m'ont posé cette question...
Durant les étapes de développement et d'écriture, tout s'est mis en place à partir d'éléments que j'avais justement rassemblés. Mais on ne fait pas un film avec un agencement d'évènements n'est ce pas ? J'avais également certaines envies narratives, symboliques, cinématographiques... Donc plusieurs lignes directrices ont servi l'écriture. Avec l'aide de ma co-scénariste, nous avons refondu pas mal de parties. Certains motifs ont permis d'en développer ou construire d'autres. Des personnages ont été enlevés, fusionnés etc....Dans un sens on pourrait dire que certaines parties ne sont pas réelles, mais, en même temps elles ne viennent pas de nulle part. Les témoignages ont amené des motifs, des idées, qui ont de nouveau nourri le récit, et ainsi de suite. On parle donc de choses modifiées pour l'intérêt du récit...mais il y a des tonnes de choses que je n'ai pas mises dans le film. Bizarrement, on ne m'a jamais rien demandé sur tout ça.
Dire que ce film, c'est l'histoire au sens strict de ma mère, ce serait un mensonge un peu sensationnaliste.
Donc au final, est ce quantifiable? Avec du temps probablement oui. Est ce que cela serait pertinent par rapport au film? Est ce que cela ferait du film un moins bon ou un meilleur film? Est ce que cela toucherait à son authenticité ? Je répondrai "non" à tout cela. Je le dis souvent car c'est important : ce film est une fiction basée sur des faits réels. Et l'authenticité derrière tout ça, c'est que ce film, son contenu, proviennent de témoignages et de récits qui émanent de tout ce qui peut constituer mes origines et mon identité. Je pense quand même être concerné d'une certaine façon par tout ça...
Chercher à savoir la part de biographique dans ce type de film est vain. La démarche faite, on ne serait déjà plus dans ce que le film est.
Je pense être assez pudique pour ne pas souhaiter tout raconter de ma famille. J'avais surtout certains fils conducteurs pour faire ce film. Je voulais parler d'humain, de famille, de l'insignifiance du vivant mais de sa persistance....

 

Au fait : que signifie exactement "Funan" ?

"Funan" est un nom donné par des explorateurs ou diplomates chinois au 1er siècle de notre ère, à une entité étatique. Un empire ou un royaume qui occupait l'actuelle région du Cambodge. Selon certains chercheurs, la civilisation khmère serait apparue dans et durant le Funan. Par ailleurs, c'est quelque chose qui est revendiquée par les cambodgiens. Il n'est pas rare de voir des inscriptions dans des musées faisant remonter la civilisation khmère à l'époque du Funan.



Le choix du dessin animé s'est-il imposé dès le départ, rapport à votre formation ?

Oui, tout simplement ^^
Parce qu'aussi, en toute logique, c'est un médium sur lequel j'ai un minimum de connaissance et donc de maîtrise.
Évidemment, par la suite, et comme cette question revenait, je me demandais donc à quoi pourrait ressembler le film en prise de vue réelle. Et l'une des choses qui m'aurait un peu embêté, c'est que le personnage inspiré de ma mère puisse être interprété par une véritable personne physique.

 

C'est un film dur : vous êtes-vous autocensuré ?

Non. En tout cas, pas dans le but de plaire à des partenaires ou pour rendre le film accessible aux enfants. D'ailleurs, ce n'est pas un film pour les enfants.
Si la suggestion de la violence et des atrocités commises par les khmers rouges, est considérée comme de l'autocensure alors oui dans un sens je me suis posé des limites.
Mais comme je l'ai dit, ce n'était pas pour amener de la distance ou ne pas confronter le public à ces réalités là. La distance est intrinsèque à l'animation. En fait, ce que je ne voulais pas, c'était jouer sur cette dimension sensationnaliste en montrant la violence khmère rouge. Depuis chez nous, tout cela aurait eu un goût de violence et d'exotisme à la fois. Certains auraient pu sortir en fin de séance et continuer à discuter des ces instants chocs. Je ne voulais pas que le film serve à nourrir ce genre de perception et surtout pas à faire un listing des atrocités commises par les khmers rouges.

 

Il y a dans ce film un message politique très fort : est-ce une mise en garde envers nos sociétés tentées par les extrémismes ?

C'est une question assez compliquée. Intentionnellement, je n'ai pas eu l'intention de mettre en garde qui que ce soit contre quoi que ce soit. En tout cas je ne me sens pas prêt à faire ce genre de chose intentionnellement. (C'est super donneur de leçon quand même!)
La "petite" dimension politique serait plutôt celle de l'appropriation d'héritage et de la création. Je veux dire que des gens comme moi, ayant des parents issus de l'immigration, ont le besoin parfois, et doivent pouvoir s'approprier leur passé pour créer leur présent, leur identité. On ne choisit pas où l'on va naître. Et en fonction des situations, notre environnement nous ramène à nos origines. Et comment se définir dans tout ça....? En créant.
D'ailleurs, à la fin de Funan, l'immigration commence. Une autre histoire. D'autres choses à construire. Et je voulais rendre hommage à ma mère, mon frère et enfin, à tous les exilés. Ceux et celles qui ont quitté leur foyer et qui connaissent leurs origines. Celles et ceux qui sont nés dans un foyer et qui recherchent leurs origines. (Je ne sais pas si c'est clair :p) (C'est parfaitement clair !)

 

Sans vouloir faire de procès, le distributeur a été plutôt frileux, non : le film ayant été primé à Annecy ?

Je sais que les équipes de la distribution ont fait de leur mieux. Le film en lui-même regroupe quand même pas mal d'éléments qui peuvent rebuter ou décontenancer des exploitants... Et puis après tout, c'est un peu facile aujourd'hui de vouloir chercher un coupable en fait. Je ne sais pas ce qu'on aurait du faire. Pour revenir au distributeur, je voudrais juste signifier qu'ils ont été parmi les rares, voir les seuls à vouloir venir sur le film. Et donc aider aux financements. Ils ont pris de gros risques sur le film, c'est vraiment important de le dire. Et il n'y aurait rien de logique à ce qu'ils veuillent saborder la sortie. On a fait au mieux avec ce qu'on savait et ce qu'on avait. C'est la vie, il y a des hauts et des bas...
Je n'ai pas vraiment de recul sur ce que peux représenter le Festival d'Annecy pour la majorité des gens. Pour moi évidemment, ça se représente beaucoup, vu que je suis dans l'animation. Mais il y a des gens qui ne connaissent pas... Et quand bien même ils connaissent....
Le marketing ça reste, je pense, le nerf de la guerre... Il faudra nécessairement se montrer créatif à ce niveau là.
Malheureusement, c'est déjà bien dur de faire un film. Je pense qu'il faut déjà se concentrer sur ça.

 


Comment obtient-on un tel casting dès son 1er long métrage (B. Béjo - L. Garrel) ?

Aucune idée. Du travail, mais surtout BEAUCOUP de chance je pense.
Alors tout d'abord il y a évidemment une envie artistique. Mais comme cela est dit, on parle d'une 1ere réalisation de la part d'un type qui sort de nulle part.
Rien n'indiquait que Bérénice (que j'avais contacté en premier lieu) allait accepter et je misais évidemment sur le fait qu'elle refuse. Mais elle a accepté et on s'est rapidement rencontré pour discuter du projet.
Il y avait donc une envie artistique mais de là à dire que je suis capable de diriger des comédiens c'est encore autre chose. J'ai été épaulé et largement aidé par une directrice artistique qui s'appelle Céline Ronté et qui a été géniale.

 

J'ai été subjugué par la musique : vous aviez une idée précise de la musique ou avez-vous laissé tout loisir au compositeur ?

Dans mon cas, parler de précision pour de la musique n'est pas très pertinent. J'avais donné des indications au compositeur, Thibault Kientz Agyeman.
En gros, j'avais écrit avec des mots, les histoires de 6 morceaux. 6 thèmes musicaux. Je voulais que l'on fonctionne avec des thèmes dans le film. Chaque morceau devait donc raconter quelque chose et exprimer certaines notions. Thibault s'est lancé dedans et on faisait des aller / retours. Je ne pouvais pas fredonner ce que je voulais comme musique, je savais seulement ce que je voulais raconter avec. Thibault a lu dans mes pensées, c'est aller assez vite.
J'ai ensuite indiqué sur le storyboard / animatique, les différents moments où je voulais retrouver ces morceaux. Là, pour le coup, on touchait à de la précision..

 

Question subsidiaire : Une sortie au Cambdoge est-elle prévue ?

Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Le Cambodge n'est pas un "territoire" que gère Bac Films (avec qui nous communiquons pas mal). C'est le partenaire local au Cambodge qui s'occupe de tout ça. J'ai juste posé un véto sur le fait que le film devait impérativement sortir en khmer au Cambodge. Et de ce que j'en sais, la version khmère n'est pas à l'ordre du jour....
Cependant il y a eu quelques projections, à l'Institut français par exemple, ou au festival international du film du Cambodge. Il y a eu de beaux et touchants retours...


Merci Denis !