Pourquoi adapter ce livre en particulier, assez différent de ce que tu as fait auparavant ?

Mes premiers films étaient plutôt introspectifs, personnels. Après Nos Futurs j’ai eu la sensation d’être arrivé au bout d’un cycle, j’ai eu envie de changer de genre, d’aborder d’autres thèmes, celui de la création en particulier. J’ai trouvé dans le roman de David Foenkinos une matière à faire un film plus ludique dans un univers passionnant, celui des livres et de l’édition, avec cette enquête littéraire assez fantaisiste qui nous fait immanquablement penser à l’affaire Gary / Ajar, et à tous les canulars qui nous rappellent que la littérature peut aussi être un grand terrain de jeu pour les artistes.

 

Lors d’une précédente interview tu me disais ne pas écrire pour un acteur en particulier : Ne me dis pas que Fabrice n’était pas ton 1er choix ! Sinon : qui d’autre que Luchini ??

J’ai pensé à Fabrice Luchini dès la lecture du livre. Effectivement, qui d’autre aurait pu interpréter ce personnage de critique littéraire énervé qui a dédié sa vie à la littérature ? Avec ma coscénariste Vanessa Portal, nous avons écrit avec une photo de Fabrice au dessus de notre bureau. S’il avait refusé le rôle, je ne sais pas si j’aurais continué ce projet.

 

Est-ce que cela a été un difficile travail d’adaptation ?

C’est la deuxième fois que Vanessa et moi adaptons un roman (après « Un Heureux Événement » d’Eliette Abécassis). Et c’est pour nous aussi complexe que d’écrire une histoire originale. Il faut faire des choix, trahir l’auteur parfois, en tout cas s’approprier totalement cette matière romanesque. Nous en avons donné une autre perspective, c’est la même histoire mais racontée différemment. Le livre de David était assez choral, avec de nombreux personnages dont le cours de la vie est chamboulé par cette supposée supercherie littéraire. Nous avons décidé de focaliser sur deux en particulier : le critique qui enquête (joué par Fabrice Luchini) et la fille d’Henri Pick qui va l’accompagner (jouée par Camille Cottin).

Le processus de montage permet-t-il de finaliser, fignoler l’adaptation du roman en élaguant ?

Non, le travail d’adaptation se fait vraiment à l’écriture du scénario. Puis le tournage donne une autre densité à l’histoire, la mise en scène un autre point de vue narratif, les acteurs apportent leur dimension aux personnages. Au moment du montage, le livre est complètement digéré, voire oublié. C’est un processus nécessaire, une condition sine qua non de l’adaptation : le film doit exister indépendamment du livre.

 

Tu connais les métiers de l'écriture, alors qu'as-tu mis de toi dans ce film ?

Effectivement je suis avant tout un auteur, j’ai commencé en tant que scénariste. Et Vanessa a longtemps travaillé dans le milieu de l’édition avant d’écrire avec moi donc c’est un univers qu’elle connaît bien. Nous avions très envie l’un et l’autre de parler de littérature, mais sans le sérieux qui est de mise habituellement et qui peut être plombant, nous avions envie de légèreté (qui est l’élégance de la profondeur à mon sens), nous voulions être dans le pur plaisir, parce que c’est ce qui fonde notre rapport aux livres. Cette histoire était aussi l’occasion de jouer avec les codes du film de genre que j’adore. Avec Henri Pick je rends un hommage à ces films qui ont beaucoup compté dans mon éducation cinématographique !

Qu'est-ce que ton film va apporter au lecteur du livre, qui en connaît la fin ?

Comme le dit David Foenkinos lui-même, le film est une variation sur son histoire. C’est comme si on avait développé un long chapitre sur le personnage de Jean-Michel Rouche, le critique littéraire enquêteur, et sur celui de Joséphine Pick, la fille de l’auteur potentiellement imposteur. J’ai aussi changé quelque peu la révélation finale, dans la forme comme dans le fond, donc les lecteurs de David risquent d’être quand même pas mal surpris!

 

Est-ce que l'on dirige Fabrice Luchini ou est-il en roue libre, comme en interview ?

Sur un plateau de cinéma, Fabrice est évidemment un acteur exigent, avec lui-même et avec les autres. Il déteste l’approximation. Mais il est aussi étonnamment docile et très en demande de direction de jeu. Une direction physique surtout, parce que tous les motifs d’ordre psychologique, intellectuel, ont été discutés en amont lors des lectures et répétitions. Bresson parlait de ses comédiens comme de modèles (dans son livre « Notes sur le cinématographe ») ce qui rapproche un réalisateur d’un peintre. Fabrice est en quelque sorte un modèle, il se laisse peindre. Dans son jeu, il cherche le geste, comme son maître Louis Jouvet.

 

Cette complicité Luchini / Cottin : elle s'obtient naturellement ?

J’avais dirigé Camille Cottin dans Nos Futurs et je savais qu’elle était « Luchini compatible » ;) Il faut un sacré aplomb et du répondant face à un acteur de cette trempe. Et elle les a ! Dès la première lecture du scénario j’ai su que c’était gagné. On pense au couple d’Audrey Hepburn et Rex Harisson dans My Fair Lady, ou Katharine Hepburn et Spencer Tracy, dans Madame porte la culotte...

 

Est-ce que la scène finale du film laisse entrevoir une possible suite, avec une autre enquête ?

Une suite, je ne sais pas, ce n’est pas prévu en tout cas. En fait, j’aime les fins ouvertes, elles permettent aux spectateurs d’imaginer ce qu’ils veulent, de continuer le film en mode fantasmatique. J’aime penser que mes personnages vivent toujours après le générique de fin.

 

Quelles instructions as-tu donné à Laurent Perez Del Mar pour la bande originale ?

Le film est construit sur un duo d’acteurs, un mélange des genres (comédie et enquête), bref une synergie dont il fallait trouver le point d’équilibre en musique également. Ce à quoi Laurent est parvenu en fusionnant des inspirations jazzy et contemporaines. Ensuite, on a affiné en discutant tous les deux, j’avais des références que je lui faisais écouter, il me proposait des idées, des sons, des instruments… Le choix d’une contrebasse au tempo très rapide m’a immédiatement séduit, par exemple. Je voulais aussi un score existant, qui avait été une source d’inspiration à l’écriture : les Mélodies hongroises de Schubert. Il fallait donc que la musique de Laurent matche avec ce morceau sublime.

 

Au fait : La scène dite du "bouc" sent l'impro ou j'ai rêvé ?

Oui effectivement, au milieu de cette scène tournée dans la campagne bretonne un bouc a eu envie de s’exprimer, évidemment Fabrice a sauté sur l’occasion, Camille a rebondi, c’était très drôle ! Mais la plus grande impro du film reste celle sur Marguerite Duras, là on est dans le génie pur. Qui d’autre que Fabrice Luchini aurait pu improviser sur ce terrain-là (NDLR : Je suis subjugué...).

Merci Rémi de ta réactivité et de ta fidélité pour cette 3ème interview