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INTERVIEW de Christophe MAZODIER, producteur de 2 days in New York & 2 days in Paris
 

"Quelle est ton histoire ? A 14-15 ans tu t'es dit : "je serai producteur de cinéma !" ?

C'est toi, entre autres, qui as créé "Polaris films" je suppose ? Comment se lance-ton dans un projet pareil, avec quels aides ?

En fait c'est presque ça. Je ne venais pas du tout d'un milieu de cinéma et j'ai grandi en province, donc je n'étais pas vraiment programmé pour ça. Et puis un jour vers 18 ans je suis tombé sur les mémoires de Selznick (producteur d'Autant en emporte le vent) et je me suis dit que c'était un métier d'aventurier formidable. Bon après j'ai découvert que la réalité était quand même assez éloignée de ce que lui avait vécu, mais la graine était semée.
Après j'ai fait des études de commerce classiques, mais j'ai eu la chance d'avoir un premier stage en Allemagne qui s'est transformé en boulot, au Studio Babelsberg, en tant qu'assistant de Volker Schlöndorff et ensuite comme producteur. J'ai finalement tout appris sur le tas à Berlin, où je suis resté jusqu'à ce que je produise mon premier film (allemand donc) Parfum d'Absinthe (en français) avec Daniel Brühl et August Diehl.
En parallèle je suis devenu expert en financements de film à l'international, pour les besoins du Studio Babelsberg qui d'une certaine manière devait trouver le financement aux productions qui voulaient venir y tourner.
J'ai vendu mon expertise à plusieurs producteurs français, -c'était le début des années 2000- et c'était encore un domaine relativement neuf pour les français.
Et puis j'ai monté Polaris avec aucune aide particulière, mais avec ma double casquette de consultant en financement, je pouvais vivre en attendant que les projets mûrissent.
C'est ma capacité à trouver de l'argent hors de France qui a lancé la boîte, parce que c'est grâce à ça que j'ai pu monter Days in Paris en quelques semaines sur la base d'un traitement, avec uniquement de l'argent international, les guichets français ayant à l'époque décliné l'aventure. Au final, le financement de départ de 2 Days était constitué d'une coproduction allemande, et d'une prévente japonaise transformée en MG (Minimum Garanti) par Rezo, le vendeur international.
Le film s'est fait dans une économie microscopique, depuis ma salle à manger.

Comment arrives-tu sur un film : c'est lui qui vient à toi sous forme de script ? Il t'est recommandé par d'autres producteurs ?

Pour les projets, il n'y a pas de règle. Certain sont le fruit de rencontres fortuites, comme celle de Julie Delpy, d'autres ont comme point de départ des agents qui me recommandent des projets ou des artistes, comme avec Olivier Gondry, d'autres encore viennent par la poste, et d'autres enfin viennent complètement de ma propre initiative, ce que nous les français appelons "films de commande".

Une fois le projet "approuvé" en quoi consiste exactement ton travail (c'est un aspect peu connu du grand public que le travail de producteur) ?

Nous ne sommes pas aux USA, donc le processus ne conduit pas le projet à être "approuvé". Il y a en gros quatre étapes : d'abord on développe le projet, c'est à dire qu'on cultive comme une plante un scénario avec son ou ses auteurs, jusqu'à ce qu'on l'aime bien et qu'on puisse lui associer toutes ses composantes artistiques (réalisateur bien sûr, s'il n'est pas là dés le départ, acteurs principaux, voire une part de l'équipe technique etc).
Ensuite, nous faisons une étude de faisabilité du film (c'est à dire qu'on décide où et dans quelle conditions on pourrait le tourner) ce qui définit un coût prévisionnel, et en parallèle on cherche à monter un financement équivalent. Pendant cette phase qui peut durer longtemps, on va passer son temps à chercher à ajuster le budget et à augmenter le financement.
Puis quand on arrive au moment où budget et financement se rapprochent, on met le film en chantier. Notre rôle consiste à ce moment à en assumer toutes les responsabilités juridico-financières, mais également à veiller à ce que les artistes aillent dans le sens défini ensemble, tant sur le plan artistique que financier.
Une fois le film tourné, c'est au moment du montage que le producteur reprend sa casquette "créatrice", en tant que premier spectateur du film. C'est lui qui donne au réalisateur le recul dont il a besoin sur son film pour qu'il soit le meilleur possible.
La vraie difficulté, c'est que les agendas des différentes phases se chevauchent souvent, ce qui cause des grands moments de tension financière. C'est à ce moment que la notion de risque prend tout son sens dans le métier de producteur.
Enfin, une fois le film terminé, le producteur accompagne le film avec le distributeur, et suit avec lui toutes les étapes de sa mise sur le marché. Et une fois le film sorti, c'est encore le producteur qui supervise toutes les répartitions des recettes aux différents partenaires.

Es-tu quelqu'un qui fréquente assidûment les plateaux de tournage ?

Pendant le tournage, j'aime bien être au plateau. Non pas pour garder un oeil sur le metteur en scène, comme dans les clichés Américains, mais pour avoir la mémoire du tournage, c'est à dire savoir pour le montage, quand certains moments de grâce se sont passés. Par ailleurs, cela permet de rendre des arbitrages financiers le cas échéant, quand il y a des imprévus. Pouvoir juger si tel surcoût donne réellement une valeur supplémentaire au film ou pas, décider si le jeu en vaut la chandelle en quelque sorte.

Il y a un débat, en tout les cas un vrai flou, autour d'une question : quel pourcentage des recettes en salles rapporte un film à son / ses producteurs ?

En ce qui concerne le partage de la recette, en France en tous cas, une entrée rapporte en moyenne 2,2€ au distributeur qui garde tout tant qu'il n'a pas remboursé ses frais d'édition, l'avance (le cas échéant) faite au financement du film, et le tout majoré d'une commission allant de 25 à 35%.
Ensuite, le producteur gagne donc entre 65 et 75% de 2,2€ par entrées dépassant ce point mort... c'est à dire très souvent jamais!

En regardant ta filmo j'y ai vu La traque : quand on regarde les scores catastrophiques des films de genre français n'est-ce pas un peu suicidaire d'en produire un ? (NB : j'admire ces réalisateurs qui restent dans le circuit malgré un box office qui ne penche pas en leur faveur ; heureusement que leur passion reste intact !)

Le cas de La traque est particulier. D'abord, je n'étais que coproducteur de ce film. C'est Quasar qui l'a produit. Mais j'y suis allé parce que nous avons eu l'ambition de dépasser le public captif du genre. De faire un peu un film de genre "grand public". Par ailleurs, au début de la vague des films de genre français, sur le papier cela avait un réel sens économique, parce qu'il y avait une forte demande pour ces types de film sur toutes les chaînes spécialisées du monde, d'où d'excellents scores de ventes internationales, et de très bonnes ventes TV et DVD ensuite. Malheureusement, les échecs successifs des films de genre français ont quasiment tué le marché, et malgré l'excellente qualité du film, La Traque n'a pas été commercialement à la hauteur de nos attentes.

Vague question : qu'est-ce qu'un bon film pour toi ? Un film dont tu te dis que tu aurais -si ce n'est fait- aimé le produire ? Quels sont les derniers films que tu ais vu et apprécié ?

Ha ha, qu'est-ce qu'un bon film? Et bien d'abord en premier lieu c'est un film qui me plaît comme spectateur. Maintenant le spectre est large. Cette année par exemple, pour moi ça va de Tree of life à Intouchable en passant par Les neiges du Kilimanjaro. Un des grands critères pour moi est de surprendre, d'apporter quelque chose de nouveau. Ensuite, bien sûr, c'est un film qui atteint son équilibre économique et qui permet à tous de se payer des efforts consentis. Rien que cet objectif là est déjà dur à atteindre.

Quel spectateur es-tu : spectateur lambda ou spectateur-producteur qui cherche la moindre ficelle dans un film ?

Comme spectateur, je suis un mélange des deux. Quand les films m'emportent, je les regarde sans me poser de question. Quand ils me séduisent moins, je cherche à analyser ce qui plaît quand ce sont des films qui marchent ou ce qui ne marche pas quand de toute évidence il y a un problème. Mais c'est vrai que je ne suis pas un analyste systématique, et je devrais le faire plus, parce qu'au bout d'un moment, il faut bien produire des films qui font des entrées si on veut durer.
D'ailleurs, je suis sûr que les gens de ton équipe, tout le temps sur les chiffres, se sont fait une petite idée de la "martingale".

Peux-tu nous parler de tes projets actuels ?

Dans l'immédiat, ma prochaine production est un court métrage, je devrais plutôt dire un film court, tant il est abouti. C'est un projet de Emmanuel Courcol, le scénariste de "Toutes nos envies" et de "Welcome", avec Grégory Gadebois et Julie-Marie Parmentier que nous tournons à Nantes à la fin du mois.

En parallèle, j'ai plusieurs projets en développement pour la fin de l'année ou l'année suivante, dont le premier film d'Olivier Gondry et un thriller aux Philippines de Philippe Rouquier."

 

Merci infiniment Christophe d'avoir pris le temps de répondre à mes questions : et encore bravo pour le très beau succès de 2 days in New York !