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The tree of life
Détails du film sur InCiné

Terrence MALICK
(17-18)

Tout part d'un drame... où comment expliquer la vie en partant de la mort d'un être humain. Je ne comprends pas, tout d'abord, pourquoi et en quoi ce film serait plus difficile qu'un autre : il est pour moi limpide, à peine plus métaphysique que n'importe quelle oeuvre un rien réflexive, ce n'est en rien une oeuvre compliquée et il suffit de se laisser porter pour qu'elle vous offre tout ce qu'elle a à donner. Qu'importe. Cette oeuvre est une oeuvre rare et exceptionnelle, comme je vais essayer de vous le démontrer : et c'est avant toutes choses la réalisation de ce génie -et je pèse mes mots- de Terrence Malick qui va emporter notre adhésion la plus complète ; époustouflante d'intelligence et d'un symbolisme étourdissant (exemple : le coup de fil annonçant la mort avec en fond sonore le décollage d'un avion... simple, brutal et extraordinaire). Le réalisateur colle à ses personnages, autant physiquement que psychologiquement, usant du montage pour mettre en avant leurs hésitations (B. Pitt se repent devant son fils), des plongées et des contre-plongées pour les mettre face à leur état d'esprit, signifier leurs émotions. Exceptionnel, rien de plus. La métaphore du début en a troublé plus d'un : la naissance d'un homme mis en exergüe avec celle de l'univers, de la Terre et de la vie en générale ; pourtant il n'y a rien à expliquer de plus là dedans, le film tend soudainement vers un super-documentaire, brisant le rythme classique du cinéma, déconcertant le spectateurs de la meilleure des manières, offrant des images d'une beauté renversante et réellement fascinante, démontrant à quel point l'homme fait partie de la nature, n'est qu'un point microscopique dans le processus de la vie. Et c'est en ça que l'aspect religieux du film prend toute son importance : croyant ou pas, cette oeuvre est avant tout un film remplis d'espoir, l'espoir que notre existence si infime n'est en rien vaine et qu'il y a quelque chose après, comme nous le dit aussi naïvement que brillamment la conclusion, le retour vers ses proches, ceux qui sont, comme le dit si magnifiquement B. Pitt, le centre de notre vie, "tout ce que l'on a réussi". Croyez-moi : on y redécouvre Dieu dans cette oeuvre, sans nulle autre explication puisqu'on ne peut expliquer l'inexplicable, seulement le ressentir. L'arbre de vie : de la naissance à la mort ; d'ailleurs deux éléments essentiels à la vie sont très présents dans les images : l'eau et la lumière, et j'y ai même remarqué deux poissons au symbolisme fort : un poisson plat qui ondule étrangement et une autre espèce à la forme clairement phallique. Ce film n'est pas tout à fait une oeuvre expérimentale comme il l'a été dit (moins complexe que The fountain par exemple) : la première partie est troublante mais annonce la suite : avez-vous remarqué que l'on nous présente que des maisons et des gratte-ciels avec de très importantes surfaces vitrées, des pans entiers de murs ? Car nous allons pouvoir regardé à travers le prisme du cinéma la vie extérieure et répondre par là même à nos interrogations interieures. La seconde partie, presque plus classique, nous livre la vie d'une famille lambda, le résumé d'une vie d'enfant que l'on pourrait apparenter à des souvenirs, nos souvenirs peut-être, en partie en tous les cas ; le film développe les relations rudes d'un père autoritaire avec son fils ainé : c'est psychologiquement violent, extrêmement puissant et "vrai", en tous les cas fortement émouvant et juste. Le dur monde de l'enfance y est traduit comme rarement au cinéma, sans concession, cruellement et magnifiquement, de la façon la plus juste qui soit. Bien que le format soit bien plus poétique -beaucoup de faux silences, de musique, de mouvements, un rythme différent- on se retrouverait presque au milieu d'un Stand by me. Une leçon de vie non didactique. Une oeuvre différente qui n'accrochera pas tout le monde : pourtant je ne m'y suis jamais ennuyé (même si la seconde partie peut comporter quelques longueurs ; et encore) car le film est tellement proche de ses personnages que l'on vit avec eux, les acteurs y sont déconcertant (le gamin mériterait un Oscar), la musique choisit pour cette sensation d'immortalité qu'elle procure, les plans sont toujours savamment choisis et la caméra mobile. J'ai redécouvert une autre chose dans ce film : que l'on pouvait pleurer devant une oeuvre cinématographique. Plus que jamais ce film parlera -ou pas- à votre sensibilité et vous y emmenerez beaucoup de vous même, de l'expérience de votre propre vie ; moi il ne m'a pas encore lâché...

 

La critique des internautes
 
Comprenez-moi bien, je n'ai rien contre Terence Malick, en tout cas certainement pas contre le Malick de Badlands (pour les Moissons du Ciel, je ne sais pas, il me reste encore à le voir).
Cependant après la vision de La Ligne Rouge et du Nouveau Monde, j'avais un peu l'impression que le cinéma du Malick revenu au cinéma à la fin des années 90 pouvait se résumer par une voix off qui demande "Pourquoi tant de violence dans le monde", tandis que la caméra filme la lumière du soleil qui passe à travers les feuilles d'arbre. Je dois dire que la prévisible bande annonce de Tree of Life a été pour moi une bonne occasion de rire.
Admettons que La Ligne Rouge avait quelques qualités défendables. Je veux bien concéder aux thuriféraires - un mot un peu pédant mais qui, on le verra, s'applique particulièrement bien ici - de Malick que si la voix off était retirée, je pourrais le trouver un peu rasoir par moment, mais quand même regardable. Le Nouveau Monde, c'était plus gênant. Déjà parce que c'était difficile ne pas rigoler en entendant une philosophie hippie tendance rousseauiste annonée (en voix off bien sûr) par Colin Farell alors qu'il se promène dans une forêt aux abords d'un camps indien en costume du XVIIe siècle. Il y a différentes sortes de kitsch, volontaire, involontaire, visuel, auditif, celui de Malick c'est le kitsch philosophique. Si ce n'était pas un cinéaste révéré et primé, on appellerait juste ça de la bullshit New Age. Mais Malick est une icône, donc on se contente d'adorer respectueusement et d'appeler ça un chef d'œuvre. Admettons. Je ne nie pas que les deux films sont jolis. Pas beaux, notez bien, mais jolis, pas offensant, décoratifs, avec des plans qui donnent de belles photos encadrées, qui marchent mieux que le film lui-même vu que le découpage de Malick, bien que correct, n'a rien de particulièrement inventif.
Mais pour Tree of Life, je n'arrive pas à trouver la moindre excuse, pas de qualité rédemptrice, pas même celle de faire marrer (sauf la bande annonce, comme mentionné plus haut). Ce n'est pas juste un film un peu ridicule, encombré par des préoccupations pseudo-spirituelle sur la sauvagerie humaine et la beauté du monde délivrés par une voix-off persuadée de l'intelligence du propos, vu que la voix off y est – presque – absente. Cette fois, le discours pseudo philosophique est délivré plus directement, par la structure. Tant mieux me direz vous c'est plutôt rassurant. Le problème, c'est que j'ai du mal à dépasser le fait que propos est inepte et la structure manipulatrice. Le plan catalogue n'aide pas, pas plus que le côté "collection d'instants kodaks". Trop facile. L'apposition thématique de souvenirs d'enfance, que certains mauvais esprits (ils se reconnaîtront) ont comparé aux pubs Herta, me rappelle d'ailleurs une certaine tendance du cinéma européen à filmer n'importe quoi et à tenter de faire fonctionner le tout au montage (sauf que Malick produit des images plus jolies et dispose de meilleurs comédiens). J'espérais un peu le cinéma américain vacciné contre cette imbécilité. J'avais tort. Et donc, voilà le procédé pour scénariste-réalisateur paresseux dans toute sa gloire : ne pas raconter, se contenter de mettre des scènes les unes à côté des autres et de temps en temps lâcher une phrase en voix off (pas trop, après ça se voit) qui essaye de lier le tout pour que le spectateur se dise que c'est trop la vérité de la vie vue par les yeux d'un auteur auteurisant.
En plus des scènes de l'enfance de son protagoniste (bon on va pas y aller par quatre chemins, on sait qu'il parle de lui-même) Malick y adjoint des séquences qui vous mettent franchement mal à l'aise, lorsqu'en réponse à la douleur de sa mère qui se demande la raison pour laquelle Dieu a pris la vie de son enfant – le frère de Terence, donc – il nous montre le Big Bang, la formation de la Terre, les dinosaures, dans un montage de plans CGI parfois jolis mais, comme me l'a fait remarquer mon copain David Sarrio, pas toujours convaincants (comparés à ce que proposent les documentaires de la BBC sur le sujet) et accompagné d'un lacrimosa de Zbiegnew Priesner (tiré de Requiem for a Friend, je crois) qui place clairement l'ambition religieuse du propos pour ceux qui l'auraient manquée. Il semble qu'on doive en tirer la conclusion que la tragédie individuelle trouve son sens dans l'acceptation de notre insignifiance.
Et si vous vous dites "non tu dois te tromper, il a juste choisi une belle musique l'aspect religieux est secondaire", je vous renvoie au reste du film et à la symbolique du soleil sur laquelle Malick place sans trop de subtilité le même flare (vous savez ces aberrations provoquée par les objectifs quand on filme la lumière et qu'on peut rajouter aujourd'hui à un film grâce à After Effect en deux clics de souris) sur tous les plans où il apparait, flare qui fait ressembler le soleil aux représentations traditionnelles de la lumière divine (regardez n'importe quelle illustration de la lumière qui entoure la colombe de l'esprit saint), histoire qu'on ne manque pas l'équation univers=Dieu.
Et pour ceux qui seraient encore hésitant, on leur rappellera qu'à la fin, Terence Malick (joué par Sean Penn) passe les portes de la mort, se retrouve au Paradis (un Eden visuellement moins naïf que des illustrations distribuées par les témoins de Jehovah, mais proche dans l'esprit), où il est réuni avec sa famille. Et sa mère retrouve finalement son frère avant de dire à deux anges dans une scène d'extase "je vous donne mon fils", acceptant enfin la mort de son fils comme faisant partie de l'ordre des choses.
Et là, j'ai eu un peu envie de vomir. Au début du film, une idiote vient dire à cette femme le genre de banalité qu'on dit à un parent qui vient de perdre son enfant quand on manque d'empathie et de perspective sur l'être humain, genre "tu as deux autres enfants, pense à eux", "seul Dieu peut t'aider " etc. Et le spectateur se dit "Quel boulet, celle-là". Sauf que Malick, lui, passe tout le film à prouver qu'au fond elle a raison ; pour lui, cette grenouille de bénitier étroite d'esprit est la voix de la sagesse. Le film nous martèle que pour se remettre d'une tragédie et lui donner un sens, la seule consolation se trouve en Dieu (ou le nom que vous donnez à la même idée) et que l'existence trouve sa signification et sa résolution dans l'après-vie, qui justifie et nivèle tout. Je dois dire que ça me glace un peu les sangs comme idée. J'en rajouterai une couche en mentionnant un détail qui semble avoir échappé à pas mal de critiques. Cette fin sur la plage (plage des origines, bien sûr, très proche de ce que l'on voit dans les scènes de création du monde) est montée en parallèle avec de courtes scènes d'une Terre où la vie n'est plus possible, orbitant autour d'un soleil devenu géant. Soit, et tout cela est accompagnée par l'Agnus Dei du Requiem de Berlioz. Encore un requiem, comme au début, oui mais cette fois ce n'est pas un lacrimosa et c'est donc très différent.
Explication : le lacrimosa, dernière strophe du poème apocalyptique Dies Irae, exprime la souffrance et la culpabilité du pêcheur au jugement dernier. Donc ici, la création du monde, s'accompagne de douleur, de culpabilité ; en clair, le monde est une disruption, ce qui reviendra plus tard dans la bouche de l'enfant Terence Malick qui dit de son père "Pourquoi es-tu né ?" en clair : "tu ne devrais pas exister, et donc moi non plus. Le monde sensible physique est une aberration et son arrivée a perturbé la fusion absolue que je projette dans le néant qui précédait mon existence" (je n'ai pas dit que cela faisait sens, mais l'idée ici, c'est que la naissance physique du monde est en soit une douleur et une chute, et que les choses iraient mieux si cela n'avait pas eu lieu. On peut y reconnaître un sentiment religieux très ancien).
En revanche l'Agnus Dei (et particulièrement celui de Berlioz) est un moment d'allégresse. Une sublimation de la mort une expression de la paix éternelle accordée après la mort. Donc dans la mort et la fin du monde se trouve la paix que l'existence nous refuse. Comprenez-vous mieux pourquoi je trouve le propos de ce film inepte ?
Je ne critique pas le besoin de trouver un sens d'une tragédie personnelle et je n'irais certainement pas voir un croyant en lui disant qu'il a tort s'il adhère aux même croyances que Terence Malick, à savoir que la violence et l'injustice de la condition humaine peuvent être résorbées dans la croyance en un monde meilleur où nous fusionneront dans l'amour divin… Mais je demande aussi qu'on respecte mon intelligence, et qu'on ne me déverse pas de force un propos aussi éculé sous une forme nouvelle en faisant comme si de rien n'était. Croire, ce n'est pas être forcément prosélyte. Or Malick passe le cap. Un prosélytisme intelligent, mais un prosélytisme quand même. Pour Malick, au final, l'Univers est tout, l'Univers nous dépasse, nous devons nous émerveiller de la Grâce qu'il nous accorde et accepter la violence de la Nature, après notre mort l'Univers nous ressuscitera et nous rassemblera avec ceux que nous aimons, et nous leur pardonneront le mal qu'ils nous ont fait avant de fusionner au sein de l'Univers. L'Univers… c'est à dire qui vous savez, hein (clin d'œil appuyé)…
Une amie me disait au moment de la sortie du film que Malick semble à la fin déresponsabiliser son père abusif, parce que, "bah ! c'est pas sa faute, il est juste une incarnation de la Nature". Elle a raison. Cependant, à ce stade, on peut pas croire que Malick soit un tant soit peu existentialiste, et la responsabilité ne semble pas le préoccuper du moment que la fusion en Dieu est possible… Nous bassiner deux heures quinze avec un propos d'une telle vacuité en revanche, c'est moins pardonnable. Le curé de la paroisse où j'ai grandi le faisait avec moins de prétention dans ses sermons et ça prenait seulement un quart d'heure. Si, pendant ce temps-là, on voulait regarder la lumière qui fait des trucs bizarres, il y avait les vitraux pour ça. Ajoutez un dinosaure et on était dans un film de Malick.

NOTE : -/20

Denys Corel (http://denyscorel.over-blog.com/)

 

 

NOTE : -/20

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