INTERVIEW
de Agnès MERLET, réalisatrice de
HIDEAWAYS |
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Tout d'abord merci infiniment de m'accorder un peu de
ton précieux temps. Dans la famille Furlong, l’aîné de
chaque génération est doté d'un pouvoir extraordinaire,
pour le meilleur ou pour le pire. James, le dernier de cette lignée,
orphelin de mère, découvre la nature du sien lors d'un
accident qui cause la mort de son père et de sa grand-mère.
Hanté par ce mal mystérieux, il se retire au plus profond
de la forêt pour ne plus nuire à ses proches. Quelques
années plus tard, Mae, une adolescente en révolte et atteinte
d’un mal apparemment incurable, se réfugie elle aussi dans
la forêt, et rencontre James. Ils tombent amoureux. Leur amour
va-t-il résister à la “malédiction”
de James ? J'ai été séduite par le script
original de Nick Murphy, un jeune auteur d’origine irlandaise.
Il m'a été proposé par Jean-Luc Ormières,
l’un des producteurs délégués de Hideaways
qui s'était déjà occupé du montage financier
sur Dorothy.
C'est la première fois que je choisis un sujet dont je ne suis
pas à l'origine. Dans le scénario, j’aimais les
changements de ton, notamment cette sorte de prologue burlesque qui
renforce, a contrario, l’émotion suscitée par la
suite du récit. Mais avant tout le script abordait des thèmes
qui me sont proches : le passage à l’âge adulte dans
un environnement familial violent, la difficulté de communiquer
avec le monde extérieur, la campagne, milieu où j'ai passé
mon enfance, et la maladie. Mon frère est mort de la même
maladie que l’héroïne, au même âge…
Tout cela, je n’avais pas su ou osé l’aborder dans
mes propres scénarios. Le script de Nick Murphy me le permettait
sans sombrer dans la noirceur, en allant vers la lumière. Il y a des choses que l'on a vécu et que l'on
ne peut pas renier. Elles ressortent quoique l'on fasse. Sans être
purement autobiographique, mes films ont toujours une part très
personnelle en eux qui revient de film en film. Dorothy
est un thriller psychologique avec un développement surnaturel.
C’est un film qui joue sur les codes du genre mais qui ne se contente
pas seulement de chercher à faire peur. Au-delà des phénomènes
dont il parle, le film aborde plusieurs thèmes comme la compassion
: est-ce un sentiment généreux et gratuit, ou est-il provoqué
par le besoin de se guérir d’un sentiment de culpabilité
? Jusqu’où peuvent aller les dérives d’une
communauté religieuse intégriste ? Qu’est-ce qu’une
personne folle peut provoquer sur ceux qui l’entourent ? Hideaways
recrée un monde imaginaire qui symbolise un univers idéal
où la mort servirait à quelque-chose. C'est la mort qui
fait renaître la vie comme le cycle de la nature évoqué
à la fin du film, celui des feuilles mortes qui fabrique le terreau
où les nouvelles graines vont pouvoir pousser pour redonner de
nouvelles feuilles. Il y a toujours dans mes films un personnage qui
symbolise l'ange qui va révéler au monde une autre vision
des choses, un peu comme L'IDIOT de Dostoïevski. Ce sont des éléments commerciaux que l'on ne peut pas gérer. Il n'est pas toujours facile de se battre contre des moulins à vent Ta carrière a semble-t-il connu un tournant avec le film Dorothy : tu changeais de registre en abordant de front le genre fantastique, est-ce un genre que tu apprécies particulièrement ? As-tu des références dans ce domaine, des incontournables ? Faire des films fantastiques n'est pour moi qu'une continuation de ce que j'avais alors esquissé. Déjà, Le Fils du requin faisait des incursions dans le fantastique, par exemple lorsque Martin, le héros, se projetait dans Les Champs de Maldoror de Lautréamont et s'imaginait vivre dans un monde aquatique. D'ailleurs le film n'était pas loin d'être un conte contemporain, même s'il n'en possédait pas tous les codes. Je me suis nourrie au cinéma expérimental lors de mes études aux Beaux-Arts. C'est là que j'ai découvert Le Sang d'un poète, de Cocteau, Le Mystère du Château du Dé de Man Ray, les films des surréalistes dont Le Chien andalou et L'Age d'or, et d'autres films de Luis Buñuel comme L'Ange exterminateur ou encore Meshes of the afternoon de Maya Deren. Ces films ont été marquants pour moi. Je faisais à l'époque moi-même des films expérimentaux qui flirtaient avec ce même univers étrange. Au moment de Dorothy c'était plutôt des films des années 50-60 anglo-saxons comme Carnival of souls, Le villages des damnés ou encore The Wickerman et surtout Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg. As-tu remarqué que très peu de femmes s'attaque au genre fantastique : serait-ce un cinéma plus masculin ? C'est ce que l'on dit. Il y a aussi moins de femmes réalisatrices,
le pourcentage par rapport aux hommes est peut-être le même
en ce qui concerne les films de genre. Le fantastique n'est pas dans la tradition de la culture française.
Toute la littérature fantastique vient des pays anglo-saxons
ce qui s'est prolongé avec le cinéma. Pour ma part on
me reprochait souvent de faire des projets trop anglo-saxons. D'où
ma décision de passer le pas. J'ai pris conscience que la seule
possibilité de garder l'univers noir que je décrivais,
c'était de l'aborder sous un autre angle, le film de genre. Dans
le cinéma anglo-saxon, le travail sur le genre permet autant
qu’avec le film d’auteur d’exprimer une vision du
monde personnelle. Et puis la langue anglaise permet de trouver d'autres
sources de financement qui n'obligent pas, par exemple, à chercher
des acteurs « bankables » sur le marché français,
dont l'agenda est bien rempli. Dorothy et Hideaways sont tous les deux des co-productions Franco-Irlandaise. Le financement est intrinsèquement lié à la nature des films : des sujets qui se passent en Irlande avec une réalisatrice française. Tes deux derniers films mettent en scène des acteurs peu ou pas assez connus du grand public : comment abordes-tu le choix des acteurs ? Que ce soit Carice Van Houten pour Dorothy
ou Rachel Hurd-Wood pour Hideaways, les actrices qui
tiennent les premiers rôles sont internationalement connues. Le
problème, c'est qu'en France on ne les connait pas. Elles ont
beaucoup plus de poids sur le marché international. Les tableaux des chiffres sont tellement affichés partout, dans tous les magazines que vous ne pouvez pas y couper. Même vos amis qui ne sont pas dans le cinéma vous en parlent. On a l'impression que pendant une période votre film ne se résume qu'à des numéros. Agnès : 4 longs métrages en 17 ans c'est peu ; c'est un rythme que tu t'imposes ? Pourquoi ? Après mon second film, Artemisia, un film d'époque avec les contraintes inhérentes au genre, je voulais revenir à un projet plus léger d'un point de vue logistique et plus libre au niveau de la mise en scène. J'avais écrit un scénario qui s'appelait L'imbécile, et qui prolongeait des thèmes abordés dans Le Fils du requin, notamment la violence chez les adolescents. Il se passait dans le milieu des étudiants aux Beaux-Arts. Mais après avoir relancé le projet plusieurs fois, il n'a pas abouti. Peut-être faisait-il peur, en particulier aux chaînes de télé ? En France, on trouvait le projet trop anglo-saxon. j'ai travaillé 7 ans sur ce projet, il a été préparé en production deux fois pour être arrêtéà chaque fois. Cela m'a fait perdre pas mal de temps. Est-ce que tu es une réalisatrice qui revoit ses propres films : aurais-tu envie parfois de les modifier ? J'aimerai bien réecrire et retourner tous mes films. C'est pour
cela que je ne les regarde pas. Je pense qu'on en est aux balbutiements. C'est un peu comme les débuts
du Dolby où les gens faisaient joujou avec des gros effets de
son qui vous arrivaient dans le dos. Je pense que lorsqu'on aura du
recul ce sera un matériau intéressant. Pour l'instant,
cela reste très lourd au tournage. Pourquoi pas cela peut-être amusant mais j'essaie de garder le
contrôle artistique en étant productrice. J'ai beaucoup aimé L'Appolonide de Bertrand
Bonello. Il y a une grande maitrise de la mise en scène. Sinon
j'ai été assez bluffée par Polisse
de Mawien. Et deux autres films totalement différents : Drive
et Hors Satan de Bruno Dumont, sans oublier L'exercice
de l'état de Pierre Scheoller. Beaucoup de films français,
ça c'est réjouissant. Des projets oui j'en ai, c'est un peu tôt pour en parler. Merci encore et à bientôt ! |