Le livre de Yann Martel aurait peut-être dû être
adapté par J-P. Jeunet, l'un des premier réalisateur
sur les rangs... Je m'explique : si la réalisation nous
emporte immédiatement de par son mouvement perpétuel,
ses petites recherches visuelles toutes en transitions et en
petits traits fins et soulignants, si les images sont totalement
magnifiques (avec une petite tendance excessive, très
indouiste d'ailleurs), si l'histoire est vraiment incroyable
et nous sort merveilleusement de l'ordinaire, Lee n'a peut-être
pas eu assez de personnalité pour creuser plus profondément
le sillon. Symboliquement ma principale critique négative
de cette oeuvre se trouve dans sa 2ème partie : on y
évoque tout d'abord la recherche spirituelle d'un enfant,
par delà les traditions de son pays : il découvrira
3 grandes religions -et l'athéisme de son père-
et les embrassera ; cela se nomme le syncrétisme, mot
que le scénariste se refuse à employer comme pour
signifier que le film est destiné à un large public.
Et ce sentiment ne me quittera pas : on y amorce de sages réflexions
sur la croyance / science mais sans avoir le temps de les développer
un tant soit peu ; le film perd sans doute la saveur intellectuelle
du livre que je ne l'ai PAS lu : c'est une simple impression)
de par sa transposition moins littéraire, ôtant
précisions et sombrant dans le "résumé".
Pourtant le film est une complète réussite : je
m'attendais tout simplement à mieux. La troisième
partie traite du respect de la vie et de la survie, elle est
sans aucun doute la plus passionnante, virant délicatement
de bord pour aborder le fantastique sous la forme d'une île
(qui possède la forme d'une femme) qui pourrait bien
être une représentation de Dieu : ce qu'il donne
le jour (des parents, un foyer, des biens), il le reprend la
nuit (la mort, la perte). Et même si l'on est pas en accord
avec cette interprétation (pour ma part Dieu nous laisse
libre et n'a pas droit de citer dans notre destin ; il est notre
canne pour affronter les épreuves de la vie), si l'on
peut également se rappeler -pour les non croyants sans
doute- qu'il est dit que le personnage confond le rêve
et la réalité, ce moment du film permet enfin
de laisser plus libre le spectateur à toutes interprétations
du récit. La 1ère partie, celle où le personnage
raconte son histoire à l'écrivain sans lui imposer
d'y croire, n'est qu'un fil d'Arianne, une tactique scénaristique
pour laisser souffler le spectateur. Cette odyssée est
à prendre au sens premier du terme : il nous est conté
une aventure monumentale, visuellement éclatante (quoique
les effets ne m'aient qu'à moitié bluffé,
le numérique restant "saccadé" : tous
ne sont pas aussi parfaits que ceux autour du tigre) qui nous
collera le nez à l'écran. Mais à la fin
du film j'ai personnellement été décontenancé,
imaginant n'en avoir vu qu'une moitié (le temps passe
très, très vite, effectivement) et restant un
peu sur ma faim, ne sachant que conserver de cette petite fable
humaine qui passe trop rapidement sur l'étude des religions,
ne laisse que l'ombre de Dieu planer sur l'histoire, nous laissant
une impression d'inachevé, de manque de profondeur, d'oeuvre
où il ne reste, à la fin, que de superbes images
et un fantastique timide. Pas vain, mais pas assez profond :
est-ce que le sens visuel de Jeunet couplé à son
exigeance artistique n'aurait pas permis au film de dépasser
ses limites et... durer une heure de plus ? Devenir une "Odyssée
de la mer" un peu plus moderne au niveau du rythme ? On
ne le saura jamais.
NOTE : 13-14 / 20