Total recall. Blade runner 2049 fait partie
de ces films dont il suffit de voir deux plans, deux simples
mais terriblement effaces plans, pour être happé
sans rémission aucune jusqu'à la toute dernière
image. Et il conviendra avant toute chose de saluer le travail
esthétique et technique absolument irréprochable,
presque divin, de cette "suite" qui tient du prodige.
Car combien de chef-d'oeuvres ont-ils accouchés d'un
autre chef-d'oeuvre dans toute l'histoire du cinéma ??
Pour faire simple : j'ai retrouvé l'âme du spectateur
que je fus et qui, il y a tant d'années, découvris
avec admiration, stupéfaction, une oeuvre qui allait
le marquer à jamais. Et pour être plus précis
: on y retrouve les mêmes lumières blâfardes,
brumeuses, baveuses d'un monde rongé par la pollution
atmosphérique et où seuls subsistent les rebus
de l'humanité. Nos yeux détectent la même
photographie tenant d'une espèce de Noir & Blanc
légèrement colorisé ; exception faite pour
l'antre de Wallace dont les couleurs chaudes nous rappellent
que nous nous trouvons dans la nouvelle matrice du créateur,
celui qui donne la vie. Vous ne ressortirez toujours pas indemne
de l'ambiance sonore somptueusement retrouvée : entre
le bruit d'une ville agonisante et surpeuplée et la musique
électronique et glaciale qui semble devoir vous mettre
en trance, il n'y a pas ici de place pour le silence, le repos
de notre esprit. Et enfin, si les décors ont un rien
évolué, ils restent ce labyrinthe de béton
sans l'ombre d'un ciel et où le seul signe humanité
parait être les publicités intrusives, colorées
à l'excès et agressive ; des flashs au mileu de
la misère, au milieu d'un dédalle inquiétant
que, pourtant, l'on crève d'envie d'aller explorer. Un
chef-d'oeuvre visuel incontestable, une réussite dans
les moindres détails pour une oeuvre bluffante qui semble
se connecter à vous 2h45 durant.
La puissance du scénario est englobée dans le
développement de l'univers créé par R.
Scott, et notamment de par les très nombreuses et terriblement
excitantes innovations techniques qui nous sont présentés
: de la naissance des répliquants jusqu'à la créeuse
de rêves en passant par une multitudes de détails
qui contribuent grandement à fonder un univers tangible
et solide ; palpable. J'ai volontairement omis la plus importante
de ces innovations puisqu'elle est au coeur de l'oeuvre et que
nous y reviendrons plus bas. Le film de Scott y est également
magnifié : en lui rendant hommage de par un rythme retrouvé,
tout particulier, langoureux mais certainement pas lent, auquel
Villeneuve et ses scénaristes ajoutent une touche personnelle
prodigieuse et définitivement géniale : l'oeuvre
reste parfaitement moderne, vive et merveilleusement évolutive.
Alors plongeons au coeur de ses thématiques. Car elles
y sont doubles : thématique historique et thématique
humaine -ou presque. La première réside dans ce
fait nouveau : les répliquants ont tenté de prendre
le pouvoir par la force -insurrection connue sous le nom de
Black out- mais sans pour autant réussir à supplanter
l'espèce humaine. La nouvelle révolution est cependant
en route puisqu'on y apprend que ces mêmes répliquants
sont à même d'enfanter, et donc de se hisser à
la hauteur de leurs créateurs ; libérés
de celui-ci, ils pourront ainsi se développer en parallèle,
à volonté, et prendre le pouvoir si l'on considère
leur puissance intrinsèque. En découle une enquête
abyssale, pas très loin d'être messiaque étant
donné que la recherche de cet enfant sera le salut de
l'espèce
Il y a également une seconde thématique, moins
globale et plus recentrée sur les personnages mais qui,
à mon sens, fait définitivement basculer ce grand
film parmi les chefs-d'oeuvres du 7ème art. Si cette
fois il n'y a aucun doute sur l'identité du Blade Runner
-c'est un répliquant de la nouvelle génération-
son regard, et par conséquent notre propre regard sur
le monde s'en trouve littérallement bouleversé.
Tout d'abord bouleversé par l'apparition d'un éblouissante
innovation : la conjointe virtuelle et numérique. Car
cette mise en abîme du "robot" -il possède
un ADN mais n'est pas tout à fait homme puisqu'il ne
peut pas engendrer- avec cette personne irréelle donne
tout son sens à l'existence même du répliquant
en tant que personne. En singeant l'humanité, en épousant
une créature encore moins réelle que lui, il se
rapproche de ce statut suprême d'espèce humaine,
d'être capable d'aimer, voir d'avoir une âme (?).
L'apport de ce personnage, qui plus est sensible, touchant au
plus haut point (on en tomberait presque amoureux... surtout
sur la fin) est absolument ingénieux et d'une force sans
commune mesure. Leur symbiose "physique" les transformant,
lui, en homme sexué, elle en femme de chair et de sang.
Mais ce n'est pas tout. Le film est irrémédiablement
vu à travers les yeux de ce nouveau répliquant
; pas que par les yeux d'ailleurs. Car si le scénario
nous fait quelques frayeurs à un moment donné,
si les origines de cet androïde ne font guère de
doute dans l'esprit du spectateur, on se rend compte, quand
le fin mot de l'histoire nous est révélé,
que le répliquant avait épousé la même
théorie que la nôtre. Il en rêvait et y croyait
tout comme nous le croyions (n'oublions pas que le film est
inspiré d'un roman intitulé : "Les androïdes
rêvent-ils de moutons électriques") et c'est
à ce moment que l'identification est en parfaite symbiose.
Nous sommes K !!! Enfin, le thème de la mémoire
contribue -à tisser un lien ténu avec le film
de 1982- à donner une dernière touche d'humanisme
à K, thème dans le juste prolongement du film
de Scott. Le doute induit par ces souvenirs, dont on ne sait
trop s'ils sont réels, induit lui-même le doute
sur la véritable nature de leur humanité. Et toute
la profondeur de l'oeuvre réside ici.
D'ailleurs les personnages sont réellement tous attachants
et les acteurs les transcendent à la perfection : R.
Gosling endosse le rôle avec grâce et son jeu est
d'une immense subtilité, J. Leto se rêvant en envoyé
de Dieu est d'une grande justesse, H. Ford entre dans son rôle
comme dans un gant, A. De Armas (l'épouse virtuelle)
est la révélation féminine du film, et
les seconds rôles -que ne sont pas tous des seconds rôles-
restent exceptionnels (Luv est vraiment flippante, Mariette
touchante à souhait).
Idylliquement respecteuse sans pour autant singer bêtement
et fadement son instigateur, Blace runner 2049
est un balet cinématographique qui développe intelligemment
son sujet, un poème qui répond parfaitement à
l'original de par sa construction strictement parallèle
/ en miroir, de par l'évolution de sa réflexion
et grâce au lien brillant qui nous est révélé.
Réflexion sur l'humanité, sa fragilité,
qui débouche sur une méditation sur l'âme
tout en subtilité, refusant catégoriquement le
didactisme. Le genre du film qui excerce une fascination immédiate
et dont on ne ressort pas vraiment...
Voilà toutes les raisons pour lesquelles Blace
runner 2049 entre dans la cour des grands. Des très,
très grands.
NOTE : 19-20 / 20