Et le film de débuter par un générique
à tomber à la renverse : un rêve éveillé
qui nous plonge littéralement dans l'univers thématique
de l'oeuvre. Impossible de ne pas croire en ce conte : la photo
prononcée qui vous invite à la rêverie,
passant allègrement par les teintes bleues-orangées-vertes,
la fantasmagorique et évocatrice musique d'A. Desplat
qui vous plonge dans ce monde à part, et, enfin, la réalisation,
brillante, harmonieuse et douce, à la grâce infinie
d'un Del Toro qui réinvente sans cesse la poésie
de l'image. Je m'emballe mais visuellement ce film est un chef-d'oeuvre.
De plus il attire à lui le spectateur de par sa musicalité,
notamment celle provenant des dialogues en apesanteur, de personnages
particulièrement marqués : la femme solitaire
et muette, le boss abominablemnt macho, la collègue obsédée
par un mari invisible, l'agent double...etc. Et s'il risque
de déstabiliser certains spectateurs, sans doute trop
habitués aux ronrons hollywoodiens, c'est justement toute
la force du film : nous voilà captivés par une
espèce de monde intemporel -bien que très ancré
dans les golden years pour les raisons que nous allons évoquer-
pas loin d'être un peu irréel : quel est ce lieu
secret où des agents du gouvernement américain
mènent des expériences en pleine Guerre Froide
? Quelle peut bien être cette créature marine aux
pouvoirs surprenants ?
Comme le titre le sous-entend, il y a une thématique
forte qui submerge -si je puis dire-, et c'est celle de l'eau.
C'est une matière que l'on va retrouver dans absolument
toutes les scènes : sous la forme d'une pluie qui ne
cesse de tomber sur cette ville, d'un océan qui semble
la border, d'un simple verre rempli d'eau et permettant d'avaler
un cachet, d'une baignoire à l'utilisation divers, d'un
ou plusieur robinets, du bassin renfermant la créature,
d'un rêve particulièrement inondé, d'une
casserole qui cuira des oeufs, d'un seau pour nettoyer un sol
souillé, d'une inondation quasiment érotique...
L'eau qui nettoie, l'eau qui est la vie et sans qui la vie n'existerait
pas.
Je le répète : La forme de l'eau
est un film différent, particulièrement osé
dans le sens où il confronte deux mondes et n'hésite
pas à nous bousculer. On pourrait croire que, sur le
papier, le film ne tient pas forcément la route, mais
la magie opère sur l'écran grâce à
une réappropriation du thème de la Belle et la
Bête, mise en parallèle avec celui de Roméo
& Juliette. C'est une oeuvre qui aborde la question de la
différence de manière originale, mettant en avant
des personnages qui ne se fondent pas forcément dans
la masse, pour des raisons diverses et variées : la femme
noire dans une Amérique raciste, l'héroïne
muette qui peine à s'exprimer, le colocataire homosexuel,
l'agent russe ; des personnages vieux, laids, monstrueux même,
qui peuplent le film de Del Toro, auteur accompli qui continue
de construire une oeuvre autour des "freaks", cette
fois plus humains que jamais, mais tous étant des "créatures"
rejetés par notre monde. En faisant continuellement des
clins d'oeil au cinéma, il rend à la fois hommage
aux séries B (la créature tient beaucoup de celle
vue dans L'étrange
créature du lac noir) et fait le lien entre les films
de monstres d'autrefois et ceux plus modernes, comme celui-ci,
où ces êtres difformes ou différents ne
sont pas les méchants de l'histoire, ils sont même
capables d'aimer. La femme muette aimera la créature
mieux que sa collègue est aimée de son mari depuis
des décennies ; et à l'inverse des grands films
de genre classiques (l'étrange créature sus-citée
ou encore King Kong), l'amour entre la femme et le monstre est
réciproque. L'agent russe sera bien plus héroïque
et avenant que les agents du gouvernement US. Les êtres
les plus "normaux" devenant les plus monstrueux que
les monstres eux-mêmes, cachant à l'intérieur
ce que d'autres âmes portent sur leur corps : Shannon
joue une fois de plus les bad guys : et c'est tant mieux car
il est proprement génial !!!
Terminons en évoquant un final sublimissime où
le "défaut" handicappant l'héroïne
deviendra sa force, sa force de vie. Le charme opére
: La forme de l'eau n'est que pure magie cinématograhique.
NOTE : 17-18 / 20