Le Paradis juste à côté de l'Enfer.
Tout débute par quasiment 2 minutes d'écran noir, avec seulement une musique et quelques sons : comme pour nous signifier que La zone d'intérêt est une œuvre à écouter. Surtout.
Banalité Vs Atrocité : le film nous présente cette dichotomie qui ne cessera jamais de nous interroger sur normalité, tout au long de l'histoire. Il nous décrit avec une minutie militaire le quotidien d'une banale famille d'officier allemand, résonnant lugubrement à chaque scène : les enfants qui jouent ou partent à l'école, la famille qui leur rend visite ou les anniversaires, l'entreprise à gérer et la vie professionnelle, les repas servis et les moments de détente. Une vie réglée comme du papier à musique mais qui se pose constamment en parallèle avec les abominations qui se déroulent de l'autre côté du mûr : les enfants que l'on imagine mourir, l'entrée de nouveaux prisonniers, la mort industrialisée, la servitude et la fin de la liberté. Quand la beauté côtoie l'horreur et que les petits malheurs nazis (la mutation) prennent de drôles et absurdes proportions, afin de mieux souligner les infamies -que le scénario n'a plus nul besoin de nous expliciter- qui se déroulent à leur porte. Littéralement.
C'est par ailleurs et également une fable amère et virulente sur l'égoïsme de notre humanité : quand la vie / la mort des autres défile comme un simple film, tournant en fond, et que l'on finit par à peine remarquer... Comme un lointain écho qui ne nous concerne plus guère tant que l'on est heureux.
L'angulation choisie des plans participe de beaucoup au sentiment d'étrangeté que génère immédiatement l'œuvre. Une œuvre filmée presque exclusivement dans la propriété : les scènes à la campagne résonnant comme des appels d'air -et les scènes finales...- et un seul plan suggéré nous laisse entendre que nous sommes dans le camp.
La zone d'intérêt présente un point de vue immersif et radicalement différent de cette machinerie nazi. C'est une expérience de cinéma peu confortable mais tellement originale, bien au-delà de son principe, ou quelques séquences auront sans doute du mal à être décodées : une fondue au rouge, un son strident et soudain, le conte en images négatives, les images actuelles posées à un moment pas forcément opportun...
Il bénéficie d'une ambiance sonore éprouvante, dense, pour un cinéma qui vous embarque dans son univers et ne vous caresse jamais dans le sens du poil, vous imprimant la rétine et faisant réflechir longtemps après la fin de la séance. J'en ressort décontenancé mais enchanté : et totalement emballé par la musique (celle du générique de fin est exceptionnelle) et par Sandra Huller.