La baleine.
Nous sommes accueilli brutalement par des images brunâtres et crasses, étouffantes, aux lumières blafardes, dans l'atmosphère poisseuse des entrailles suintantes, suantes d'un appartement. Et l'extérieur ne semble guère mieux : il pleut la plupart du temps...
The whale va s'ingénier à évoquer cette "baleine" (en référence au récit de H. Melville, "Moby Dick") que l'on passe notre existence à chasser : Charlie, notre anti-héros à l'obésité morbide, doit chasser la baleine qui siège littéralement en lui -dans son corps et dans son âme- et éloigne sa fille de son existence confinée et recluse. Cette baleine sans émotion ? Ce chasseur qui perd son temps ?
Saluons déjà l'audace du sujet : l'obésité n'étant pas un thème à proprement parlé cinégénique et donc peu traité par le cinéma car, sans aucun doute, trop loin du glamour tant recherché par le tout Hollywood.
On pourrait imaginer que D. Aronofsky serait quelque peu coincé par son atmosphère de huit-clos, et pourtant il met en scène son film de façon incroyablement variée, sobre, avec d'une rare finesse, à l'image de ce travelling qui se répète à loisir -comme ancré en son centre par le personage principal- ou du judicieux placement des personnages au sein du cadre, et réalise un véritable film d'horreur, au sens noble, concret du terme : un film de monstre. Il commence par soulever notre dégoût pour cette créature moderne, maladive et avachie, mauvais père et mari qui n'a de cesse de s'excuser pour tout et pour rien, qui s'est peu à peu laisser aller suite à un drame, qui se nourrit salement, ne peut plus se mouvoir, se baisser ou attraper quoique ce soit tout seul, et dont le seul partenaire sexuel est sa télévision ; détesté par sa propre fille. Un monstre de déchéance physique qui agonise, se suicide peu à peu faute de pouvoir, de vouloir remonter la pente. Mais, paradoxalement, il s'avère aussi monstrueux que sa fille : lui qui est hideux à l'extérieur mais possède un coeur en or, alors que, derrière le visage magnifique de cette adolescente, se cache un monstre de colère et de haine.
The whale est un film qui aborde une immense variété de thèmes tel que la relation père fille, doublé d'une fine réflexion religieuse et d'un couplet vibrant sur l'amitié et le don de soi (Lise nourrit littéralement et psychologiquement le "monstre"). Son thème central restera cependant l'amour : celui d'un frère pour sa soeur, d'un homme pour son amant, d'une femme pour son mari, d'un jeune pour Dieu, d'un père pour sa fille ; c'est l'amour qui unit ce petit monde dans l'espace exigu de cet appartement enténébré. Les dernières images renverront à celles de cet oiseau, seul regard à la fois sur l'extérieur et sur la liberté de se mouvoir, de sortir.
The whale est un film qui interroge notre humanité, une œuvre baignée d'amour puisqu'elle possède une âme, mais une œuvre sans concession, viscérale, brutale, puissante comme un premier film. On découvre par petites touches le passé de chacun des personnages, celui qui les a construit et détruit, à travers un écriture toute en finesse. Et Fraser est, excusez du peu, absolument écrasant, doublé par une composition musicale exceptionnelle.