Spielberg nous parle frontalement de sa passion : réaliser
des œuvres cinématographiques.
Et pour se faire s'il y a bien une chose que l'on allait scruter
avec attention et une exigence sans pareille, c'est bien sa
façon de mettre en scène ses Fabelmans.
Logique ! Et bien je peux vous dire que le film va bien au-delà
de mes propres attentes car, pour une œuvre essentiellement
dialoguée, la réalisation du maître est
ici d'une délicatesse infinie, douce comme un cocon (le
cocon familial assurément), raffinée quant à
s'approprier les espaces, notamment entre les divers personnages,
de même qu'entre les personnages et leur environnement
(ce plan où l'on voit pour la première fois le
père quasiment défaillir !). C'est mis en images
avec une finesse extrême dans le regard (celui de la mère
découvrant quelques séquences de sa propre vie
sur un mur...) et un don extraordinaire quant à porter
ce même regard, celui des protagonistes, les uns envers
les autres. Absolument et irrémédiablement sublime.
J'avoue que je vais émettre cependant quelques réserves
au sujet du scénario : non pas que cette histoire ne
m'ait plu, étant donné qu'elle a trouvé
des résonnances troublantes et évidentes avec
ma propre enfance / adolescence (le choc du premier film, celui
de ma première caméra, le copycat des films vus...etc).
Impossible pour ma part de rester insensible au fond de commerce
du scénario pas plus qu'à ses personnages bien
trempés : la mère, artiste dépressive qui
culpabilise, et ce père, plus pragmatique, inconditionnellement
avenant et que rien ne semble pouvoir ébranler... Et
que les acteurs sont brillants !
Pourtant, à bien y regarder, The Fabelmans
ressemble à s'y méprendre à une quelconque
success story à l'américaine, sans heurt ni dramaturgie,
si ce n'est celle qui court et que l'on voit venir de très
loin. Spielberg projette ici sa propre existence à travers
un film qui reste trop balisé (vie de famille, lycée,
fac, intimidation, love story, bal de promo... etc) et, pour
le coup, aurait mérité d'être rabotté,
façonné. Cependant le film finira par séduire
grâce à son immense et à son intense sincérité,
sa fraîcheur dans le domaine de la coming of age comedy.
Steven n'a pas voulu, et à juste titre, en faire un film
référentiel et moderne à tout prix, mais
une oeuvre strictement personnelle.
Il n'a pas voulu non plus écrire ou réécrire
sa propre vie -le film n'est officiellement pas un biopic même
si on y retrouve beaucoup de l'auteur- mais plutôt rendre
un vibrant hommage à son coeur de métier (Spielberg
n'a scénarisé que 4 de ses oeuvres...), décrypter
méthodiquement sa transformation en cinéaste et
en retirer la substantifique moelle. Ainsi passe-t-on par les
étapes incontournables qui gagnent tous les passionnés,
et assurément les plus grands : la passion qui se transmet
directement par un film, puis par sa reproduction à l'identique.
Ensuite vient l'inventivité, où quand l'élève
prend son envol, puis l'auteur s'approprie son art comme un
véritable moyen d'expression ; puis vient le temps de
la "direction" à proprement parler (celle des
acteurs), avant de pouvoir gagner le titre de véritable
entertainer et, peut-être, prétendre à changer
quelques vies grâce à son art. Ou peut-être
changer seulement quelques points de vue comme aurait aimé
le dire John Ford (dont l'interprétation dans le film
est définitivement surprenante !) ou le laisser sous-entendre
le formidable dernier plan de The Fabelmans.