Une image brute de décoffrage, une Frances McDormand
sans fard, effarante de naturel. Nomadland
représente l'Amérique-Amazon, l'entreprise multi-milliardaire
exploitant l'ultra pauvreté de ses compatriotes courant
après le travail et prolongeant de beaucoup leur vie
active. L'Amérique des sans-grades, celle des existences
fragiles, tenant à bien peu de choses, mais surtout l'Amérique
des sans toits, poussés dans la rue et se réfugiant
dans des vans et autres camping-car de fortune. De prime abord
par obligation, puis par nécessité et, finalement,
par choix : le choix de ne pas s'inclure dans une société
exclusive, société des riches et, dans l'absence
de propriété, retrouver ce qu'ils n'ont plus de
liberté. Mais Nomadland n'est pas une
oeuvre déprimante car elle représente également
l'Amérique de l'entraide et des solidarités.
Il y a quelques chose de documentaire dans ce film, dans son
format, dans son approche d'un cinéma social, épuré,
dans sa manière délicate d'aborder toutes les
problématiques, au quotidien, mais sans aucun tabous,
ne détournant jamais le regard sur quoique ce soit, quitte
à gêner nos yeux de spectateurs un peu prudes.
La réalisation au corps à corps de C. Zhao n'y
est pas pour rien : elle s'efface au profit de sa phénoménale
actrice et nous laisse pénétrer son monde et son
intimité au plus près. La profonde justesse d'écriture
contribue à nous prendre par la main, nous forcer à
voir, puis à regarder cette Amérique de l'ombre.
C'est aussi un film qui aborde avec une immense pudeur le thème
du deuil, de cette vie qui va de l'avant, sans l'autre. Qui
continue tout comme ses routes, dans un cycle paraissant infini.
Le message final -pas forcément religieux- est empreint
d'espoir et de joie : un "see you soon" qui en dit
long sur la vie d'après, celle des survivants qui, dans
leur voyage, au gré d'un virage, d'un détour,
d'un paysage, pourraient très bien tomber sur... un souvenir
vivace.
Nomadland est une œuvre chaleureuse, respirant
la joie de vivre, la pauvreté forcée mais heureuse
; pour autant c'est une œuvre rugueuse, profondément
anti-hollywoodienne, ne cherchant jamais à caresser,
gratifier le spectateur, nous remémorant que le cinéma
n'est pas uniquement l'industrise du rêve mais également
une représentation intense de la réalité.
Il y a des scènes bouleversantes, renversantes, inoubliables
: la vieille dame qui se sépare de tout ses biens intimes
avant d'aller mourir. Simple. Tellement puissant. Comme la composition
sublimissime de Ludovico Einaudi.