Une fiction sortie au moment où les drames ravages tant
de corps de métier...
Ce que j'ai ressenti à la vision de ce film ? C'est avant
toute chose -ce que dicte sans doute le titre- un Amour pour
cette terre qui nous nourrit, amour magnifié par de larges
plans en "scope" et des cadrages traduisant de la
part du cinéaste une véritable vision. J'ajouterais,
puisque c'est encore trop rare dans le cinéma français
actuel, que j'ai été absolument subjugué
par la photographie et sa symbolique : les intérieurs
du foyer, les moments heureux (les années 70, l'anniversaire)
sont soulignés par des éclairages chaleureux,
avec toujours une lumière orangée pour éclairer
ce petit monde, comme une lueur d'espoir ; à l'inverse
les extérieurs sont froids, baignés de gris, autant
que les moments de dépit ou de drame. Le spectateur devient
par la force des choses un membre de cette famille, autant qu'un
témoin au plus proche de ce qu'ils vivent et, surtout,
ressentent.
Mais l'oeuvre ne serait qu'une sublime enveloppe sans le récit,
cette description passionnée et passionnante d'un monde
que, finalement, nous connaissons assez mal, les enjeux complexes
d'un métier (les normes, l'obéissance à
la loi du marché, les enjeux financiers, etc...), les
évolutions d'une vocation qui se trouve de plus en plus
régulée, pensée par des gens loin du terrain.
Le film met en fait, et en exergue, les limites d'une société
et de sa folie : elle ne peut se passer d'agriculteurs, d'éleveurs,
mais a transformé le métier de façon à
le contrôler, le rendre moins humain, grignoter par les
problèmes usurier. Les politiciens (?) l'ont transformé
en une passion ingrate et dont les sacrifices dépassent
de loin la raison : sacrifices professionnels (les obligation
induites par la concurrence et l'économie de marché),
moraux (faire manger le peuple à bas prix, coûte
que coûte), personnels (la mise en danger de sa propre
santé) ou familiaux (ce dramatique et bouleversant choc
des générations).
C'est par la grâce de personnages tout simplement humains,
d'une famille comme toutes les autres, que le film vient s'enquérir
de notre émotion ; et à ce titre le scénario
développe intelligement le rôle des enfants. Et
le film est bien aidé par le prestation d'un G. Canet
qui fait froid dans le dos, vous tire la larme lorsqu'il se
met à pleurer ; je ne saurais également omettre
l'une des dernières scènes où A. Bajeon
m'a carrément pris aux tripes.
Sans pathos aucun, Au nom de la terre se révèle
être d'une puissance désespérée,
d'un réalisme cru même si teinté d'espoir,
comme un cri du cœur, un appel à l'aide, une voix
pour faire entendre au monde celle d'une profession que l'on
auditionne trop peu, étouffée par les difficultés.
Plus largement, le film est d'une justesse incroyable quant
à décrire avec amour la détresse, l'histoire
d'une déchéance, celle d'un homme rongé
par un système capitaliste devenu fou et absolument inhumain,
quant à sonder l'âme humaine, le processus de destruction
qui vous emmène de la dépression au suicide...
Au nom de la terre nous touchera tous, à
notre niveau, tous ceux en tous cas qui, de par leur histoire
personnelle, ont pu vivre des moments plus ou moins douloureux
: et c'est sans doute cette universalité qui en font
une très grande oeuvre. Le papa d'Edouard Bergeon serait
extrêmement fier de son fils.