Visuellement magnifique et très soigné, Fences
(les fameuses "barrières" que le
père de famille tente d'installer et qui symboliseront
tant de choses : enfermer ceux qu'il ne veut voir partir, barrière
entre lui et ses fils pour les endurcir ; barrières qui
cachent ses propres défauts) est un pas dans la carrière
de D. Washington -acteur et réalisateur- puisqu'il y
trouve l'un de ses plus beaux rôles ; Denzel sort vraiment
le grand jeu, créant un personnage expansif, à
la fois dur et tendre. Et d'un autre côté sa réalisation
est sobre mais fortement pensée et pleine de sensibilité,
se mariant parfaitement avec le propos et laissant tout le champ
libre aux acteurs. Mais revenons au personnage du père
: centre du film, du théatre de la vie (le film est,
à l'origine, une pièce de théatre), homme
de morale, de justesse et apparemment de droiture, parlant plus
qu'il ne le peut, survivant avec son modeste salaire, un peu
porté sur la bouteille, assénant des leçons
à ses enfants pour les voir mieux grandir ; et usant
de métaphores base-ballistiques. D'ailleurs le film tire
sa beauté des dialogues, longs, passionnants et passionnés,
superbement pesés. De ses dialogues découle une
oeuvre sur la famille, dans le cadre quasiment unique de la
maison familiale, sur les vieilles histoires d'autrefois, parfois
tragiques, d'un père de famille qui élève
du mieux qu'il peut ses deux enfants, qui aime du mieux qu'il
peut sa femme, qui apprécie tout particulièrement
de sortir avec son ami et collègue de travail. Un peu
mal dans son temps, réaliste sur la condition des noirs
américains dans l'après seconde guerre mondiale.
Mais le personnage est beaucoup plus riche, et surtout ambigü
qu'il n'y parait. Derrière sa rudesse envers ses fils,
se cache un homme imparfait qui va, contrairement à tout
ce qu'il prône, manquer détruire sa famille. Le
coeur de l'histoire se trouve ici. Ses discours moraux masque
un homme immoral mais tellement conscient de ses faiblesses.
Son apreté dissimulant un personnage qui aime les siens
à sa façon, c'est-à-dire en se faisant
détester afin qu'aucun de ses enfants n'aient le malheur
de lui ressembler un jour ! D. Washington y campe donc un homme
à deux visages, tour à tour admirable, dur, grinçant,
bon et détestable ; seul maître à bord,
seul garants des lois et de son bon plaisir...
Film brillant qui sait trouver le ton juste, presque banal et
pourtant si fort, tournant autour d'une cellule familiale avec
ses moments de joie, ses petites peines du quotidien, ses droits
et ses devoirs, ses drames ; un grand film qui sait se tenir
éloigné des personnages manichéens, creux
et simplistes. Laissant également Viola Davis exploser
tout son talent : elle vous donnera des frissons. Excellent.
Profond.