Mourir de plaisir ? Ou le suicide par le bonheur.
Quatre caractères trempés, notables s'il en est,
ont un projet jusqu'au boutiste : s'enfermer dans une maison
afin de manger jusqu'à plus faim, abandonnant toute inhibition
dans un festin orgiaque avec pour but ultime : la mort dans
le plaisir absolu et pervers.
Ferreri pose un regard acide sur la bourgeoisie oisive d'alors
et, aujourd'hui, sur notre société occidentale
toujours prête à tous les excès : visionnaire
si l'on en juge par le débat actuel sur la malbouffe
et l'obésité. On reconnaîtra ça et
là des traits de caractère devenus notre quotidien
: un accès non stop aux images sexuelles (via internet)
ainsi qu'un accès à de la nourriture quasiment
illimité. Le petit groupe, à l'image de nos sociétés
de consommation d'après guerre, passant de l'édonisme
douceâtre au consumérisme primaire et aberrant,
creusant, au fil du film, leur tombe avec leur fourchette (selon
l'expression consacrée).
Il règne une atmosphère de folie douce et libérée
sur La grande bouffe, puis de démence
pure, entre le plaisir des papilles et celui des corps. Folie
qui tourne à la décadence, à l'abjection,
à l'absurde, à l'amoralisme, au scabreux, symbolisant
une société malade de ses excès, malade
du "trop", littéralement mourant de ses plaisirs
quand d'autres meurent de leur absence... Un occident ici représenté
par quelques êtres qui se dégradent au fur et à
mesure où le film avance, se rendent malade à
vouloir trouver un bonheur ultime et illusoire, débouchant
sur des morts définitivement choquantes et pour beaucoup
abominables.
Critique virulente et génialement atroce, écoeurante
et abjecte, qui survit au temps dans la mesure où la
société s'enfonce dans cette forme de vice, La
grande bouffe décrit un occident déjà
au bord de l'extinction il y 50 ans...
Dommage que l'emballage de Ferreri soit aussi sobre et trop
posée, son sujet appelant à plus de folie.