Un choc : une oeuvre en forme de puzzle chronologique où toutes les pièces s'assemblent en vue du mystérieux et supposé drame final, un puzzle temporel qui mélange habillement et allègrement les époques pour construire ses personnages et leur histoire ; un montage un peu abscons, complexe, une réalisation à l'avenant, très / trop maniérée qu'il faudra mettre justement en parallèle avec le message final, l'absence d'explication. Et puis le film se fluidifie au fur et à mesure que l'on avance, que l'histoire se dénoue et que le spectateur comprend, le temps se réduit. Le film est à bien des égards original : son point de vue n'est pas celui du tueur (comme dans le superbe Elephant), ni celui de la / des victimes (comme dans un thriller classique), mais celui d'une mère, la mère de l'assassin, celle qui a reçu tous les coups de la vie et dont la survie tient sans doute en un mot complètement dingue dans le contexte : "Amour". Pourquoi survit-elle ? Parce qu'elle est le seul véritable témoin complètement objectif de l'histoire officielle, la seule à avoir fait des efforts monstrueux pour aimer ce fils qui la haïssait ? Nous y reviendrons plus loin. Le film pose alors une question cruciale : comment expliquer cette accès de violence réfléchie chez certains jeunes qui ne sont pourtant ni malheureux, ni démunis, que ce soit en biens ou en amour ? La fin est sans appel : il n'y a pas d'explication, c'est aux spectateurs d'en tirer toutes les conclusions : folie, maladie, pathologie, éducation... Le film pose indirectement la question : qu'aurait-il fallu faire pour empêcher un tel drame ? Chacun y apportera sa propre réponse, je vous livre la mienne, qui vaut ce qu'elle vaut mais me parait logique en regard de mon modeste statut de "père" : il n'y a pas de clef dans les images antérieures à la naissance du garçon, et tout est à mettre sur le compte de l'éducation hyper-laxiste de cet enfant qui comprendra vite combien on peut aisément manipuler et être fort face à ses propres parents. La mère est dans une attitude passive à l'extrême, révoltante pour des parents dignes de ce nom, elle cherche l'amour de son enfant en tolérant tout et n'importe quoi (chaque bétise est effacée sans punition, l'enfant n'est pas propre alors qu'il a 8 ans, le père n'est jamais informé de ces actes malveillants...etc), et la plus grande preuve de ce que j'avance se trouve dans la seule scène où la mère réagit, avec trop de violence mais également après s'être trop retenue, et où par la punition elle trouve enfin, pour quelques heures, l'amour de son enfant ; mais ceci ne lui servira en rien de leçon, se laissant submerger par la culpabilité, comme tout parent débutant culpabilisant face à une punition peut-être trop sévère, et laissera sa propre chair la manipuler à un tel point que Kevin parait être un nouveau "Damien". Elle a mis un pied en Enfer, elle a laissé son enfant y mettre son âme. D'ailleurs la mère survit pour porter toute la responsabilité de cet acte dont elle est la cause, par faiblesse, elle devient aussi passive envers le monde extérieur, qui est devenu violent envers elle autant qu'elle a pu l'être avec son propre fils, comme si elle se laissait infliger une punition méritée. "We need to talk about Kevin" est un titre qui en dit long, comme le discours d'un proviseur, d'un psychologue qui aurait dû être prononcé et ne l'a jamais été. C'est un étrange film, de ces oeuvres qui vous secouent, vous agacent et vous fascinent, vous gênent aux entournures, une oeuvre choc, violente, stressante et difficile, très actuelle, brutale, décalée et surprenante de bout en bout ; c'est un cri d'alerte envers une société où l'enfant-roi brise les codes, les limites, les tabous et détruit tout autour de lui ; il appelle à la responsabilité des parents. T. Swinton est extraordinaire de retenue et de finesse, les divers jeunes acteurs qui jouent "Kevin" sont époustouflants de rage contenue, de sadisme à la fois dans le regard et dans les gestes. La musique y est percutante ("The son of no one") et le tout confirme tout le bien que l'on pense de la réalisatrice.