La question que je me posais avant de voir ce film était
la suivante : qu'ont-ils à dire sur un tel sujet durant
près de 3 heures ? La réponse fut cinglante :
la voici... Comme à son habitude, telle la griffe d'un
"auteur", Kechiche se plait à filmer le quotidien,
la banalité : un repas sans dialogue qui ne débouche
sur rien, une manifestation qui définie imprécisément
le caractère de l'héroïne, une séance
de classe qui n'avait nul besoin de durer 3 plombes, le spectateur
-supposé intelligent- comprenant tout à fait de
quoi il s'agit. Le scénariste a un malin plaisir à
développer chaque scène jusqu'à l'usure,
jusqu'à notre lassitude, axant son scénario sur
les personnages et oubliant volontairement tout autre forme
d'intrigue ; c'est un choix. Tout d'abord je n'ai absolument
pas été convaincu par Léa Seydoux, loin
d'être une mauvaise actrice, mais le ton soufflé
par le metteur en scène, proche du documenteur, ne lui
sied pas du tout ; on la sent même assez génée.
Ensuite le côté brut des images (que l'on pourrait,
je pense, intervertir avec les images des autres films du réalisateur
sans que cela ne choque personne, esthétiquement parlant)
fait basculer nos impressions du côté de la "torture
quotidienne de la banalité" plus que vers une certaine
idée du "réalisme", du "cinéma-vérité".
Il y a une volonté évidente de non-réaliser
le film : les plans sont insignifiants, tel une simpliste mise
en image de l'écrit sans autre dimension (cinématographique,
justement), de manière abominablement froide (ce qui
décourage toute sensation chaleureuse d'amour) et terriblement
impersonnelle (plans caméra à l'épaule,
au niveau du regard des protagonistes, peu de changement de
plan, d'axe). La caméra est un témoin silencieux,
muet : et quelque part un rien inutile... Il n'y a pas de travail
à l'intérieur du plan comme on le ferait d'un
tableau (ou si rarement) pas plus que de réflexion sur
le signifiant entre les plans. Les dialogues sont terriblement
fades, découlant de ce que je viens de dire, le film
n'avance en conséquence que très peu, la love
story gay mettant à peine de piment dans cette aventure
vécue de l'intérieur. Les scènes s'étirent
inlassablement sans pour autant trouver de substance, ne cherchant
qu'à capter l'essence de cette relation amoureuse mais
ne trouvant que des détails futiles et caricaturaux.
On n'est pas loin d'assister à un film de famille : le
spectateur subit sans ne jamais pouvoir s'y intéresser,
l'envie de couper des pans entiers du film se faisant de plus
en plus ressentir, sachant que ceux-ci n'enlèveraient
absolument rien à la cohérence de l'oeuvre, ni
à son intégrité. Pire que ça : le
film évite comme la peste la moindre ellipse à
l'intérieur des scènes et le spectateur est alors
forcé de regarder sans avoir le moindre espace de réflexion,
de liberté, sans air pour respirer, donnant au film cette
sensation étouffante et glaçante qui va à
l'encontre de son sujet (qui n'a rien de fleur-bleue, je le
conçois), refusant par conséquence de s'adresser
à l'intellect.
Ce fut pour moi un film extrêmement long et pénible,
comme un tableau de fleurs printanières sans la moindre
couleur, un plat sans sel ni épice, carrément
glacial, évoquant plus la mort que l'amour et n'offrant
aucune intensité, pas même un peu de sensibilité
(si ce n'est par le jeu des actrices). Pour ma part ce film
confond malencontreusement "excitation" et "émotion",
certaines scènes sans la moindre musicalité m'en
sont témoins, c'est un film vide qui, si l'on remplaçait
l'une des filles par un mec, ne pourrait plus s'appuyer sur
quoique ce soit, s'effondrant et devenant l'une de ces centaines
d'histoires d'amour que le cinéma nous a DEJA contées,
une vie de couple qui n'a presque pas besoin d'être racontée,
encore moins d'être montrée. Je n'est pas trouvé
d'angle d'approche marqué, remarquable, intelligible,
original... autre que celui bien maigre de la sexualité.
On finit par pervertir notre regard de spectateur et on se dit
que la frontière est fine entre le voyeurisme et l'argument
publicitaire dans cette oeuvre où l'on met la pudeur,
la chaleur et la beauté d'une relation de côté
au profit de scènes crues qui sentent l'opportunisme,
presque le marketing. La vie d'Adèle
part d'une histoire et oublie d'en faire une oeuvre cinématographique
: c'est de l'anti-cinéma célébré
par ses pairs et, mis à côté du non-cinéma
(puisque toujours identique) de Boon, je ne suis pas très
optimiste pour le cinéma français.
Que l'on aime ou pas, ce film donne toutefois matière
à réflexion sur le cinéma lui-même
: mon concept du 7ème art n'est assurément pas
le même que celui de Mr Kechiche ; personne n'a tort,
personne n'a raison, c'est une simple question de point de vue.