Toutes les lumières de la ville : pastelles, flashies,
rouges, jaunes, vertes et ocres. La musique en leitmotiv, obsessionnelle,
et une bande-son épaisse comme la nuit urbaine. Ambiance...
Travis nous est présenté comme le héros
de cette histoire : la façon dont est filmé le
premier dialogue avec son employeur ne laissant planer aucun
doute là-dessus. Il nous est alors décris avec
précision : un taxi driver insomniaque, un brin dépressif
et écrivant son mal-être sur son journal, un vétéran
à la morale sèche et raide, obsédé
par une femme ; par deux femmes. Mais également un accroc
au porno, aux médocs et à l'alcool.
La caméra se promène, fouille la personnalité
de chacun des caractères, de toute la faune new-yorkaise,
le moindre recoin sombre de la ville, le tout souligné
par un montage cisellé. Un travail à la précision
métronomique qui enveloppe le moindre dialogue afin de
nous faire ressentir tout ce que les personnages éprouvent.
A ce propos le 1er contact vocal avec Betsy est pour le moins
extraordinaire : un simple zoom pour démontrer la soudaine
fragilité, la timidité de Travis ; un nouveau
zoom, arrière cette fois-ci, et le héros reprend
l'ascendant sur sa locutrice. Un chef d'oeuvre se mesure à
sa capacité à pouvoir être analysé
plan par plan ? Et bien il n'y a pas un pan de ce métrage
à jeter.
Mettant en exergue le beau monde -symbolisé par celui
de la politique-, les gens beaux, les gens biens, les gens propres,
avec celui de la rue, les putes, les macs, les drogués,
les escrocs, les noctambules, Taxi driver
nous fait littéralement plonger dans ces deux univers
qui ne peuvent se mélanger. A l'image de son héros,
le scénario est sans cesse à la recherche de la
beauté. Travis ne pouvant que toucher du doigt un inaccessible
idéal (Betsy), il s'en retournera dans le bourbier de
son existence. Et quand la beauté -incarnée par
la toute jeune Jodie Foster- s'invite enfin dans la crasse immonde
de New York, Travis, recroquevillé sur lui-même,
dégoupillera, se mouvant en justicier auto-proclamé
afin de ne plus laisser la souillure d'une société
qu'il juge malade atteindre cette déesse innocente...
La jeune prostituée devenant le symbole de la justice,
de l'espoir et de l'avenir.
Le film se joue de toutes morale et clame que la société
est elle-même le Mal. La politique ne peut plus rien pour
Travis, lui seul peut sauver le monde en éliminant ses
sâlissures. Taxi driver est la prévisualisation
d'un monde en panne de solutions, à bout d'idées,
préfigurant ce que sera le futur d'une Amérique
complètement paumée.
Taxi driver disserte sur la noirceur de la
ville, ses travers, ses fautes, ses imperfections, ses monstruosités,
ses abjections, c'est un film enragé, brut, sentant le
souffre, explosif, où la violence de Travis répond
à la violence du monde. Jusqu'à ce final sublimement
ambigu où la happy end s'extraie d'un exultoire de haine,
décollant littérallement à l'image du plan
aérien et en traveling arrière, depuis le corps
inerte de Travis jusqu'au moment où on nous laisse imaginer
que l'âme quitte le corps du héros ; le héros
d'avant l'implosion. Avant qu'il ne soit réhabilité
par tous. Tous.