Etrange ce film qui commence sur fond noir et où l’on
voit les contours de la France avec à l’intérieur
un F plutôt qu’un générique avec producteur
et distributeurs en tête…
Il faut dire qu’il est auto-produit, car personne n’en
voulait car ça n’est pas un film comme les autres
: à l’instar d’un « Henry… »
c’est un portrait, photographié couleur chair et
poisse, décors urbains crasseux et vides, musique souffreteuse
; le portrait d’un homme « qui se bat, seul, dans
les entrailles de le France », un homme à-bout.
Un film comme un cri, un accès de rage, celui que l’on
peut avoir face à notre propre misère, face à
l’incompréhension d’autrui, une série
de flash violent, celui qui fait bouillir notre sang durant
une seconde, une minute, lorsque la vie bascule…
Le quotidien de cet ex-boucher, tueur par amour fou pour sa
fille, incestueux, enragé par désespoir de trouver
le bonheur, maladroit et déséquilibré.
Un « Fight club » à lui tout seul. Le bonhomme
a beau être extrême, ne croire fermement que ce
que le commun des mortels n’imagine qu’un instant,
un instant de colère, on se reconnaitra tantôt
dans ce portrait de la France profonde des années 80
–description que les cinéastes évitent honteusement-,
on reconnaitra celui que l’on hait en nous, celui qui
se laisse aller sans réfléchir et qui finira,
par désespoir, par voter trop à droite, par être
un mass-killer, un égoïste extrêmiste qui
ne cherche le bonheur que de façon maladroite (baiser
la seule femme qu’il aime –sa fille- en est une)
car son monde est celui de la terreur, de l’anxiété,
de la crasse.
Oui, Noé est ambigu. Son « héros »
n’est pas le Ed Norton à qui l’on ressemble
beaucoup dans « Fight club », on ne sait si l’on
doit approuver, désapprouver ou tout simplement chercher
à comprendre le bonhomme ; mais on ne peut pas tout rejeter
en bloc. Il s’agit d’une critique de la société
française, cru, réaliste (oh ! putain que c’est
bon… et rare : ici on préfère critiquer
les autres…) par un auteur que d’aucun on voulu
enterrer, un regard acide qui n’a qu’un but : dénoncer
l’homme en tant qu’homme, ouvrir les yeux d’un
public bétifier par l’idée de vivre dans
un pays beau et parfait, croyant qu’ailleurs tout est
pire, faire transpirer l’idée d’un racisme
fondé sur cette illusion culturelle et sociale aberrante.
Dommage que le film ne puisse toucher un grand public…
censure oblige.
Et Noé de nous foutre mal à l’aise, stressé
par sa façon de zoomer à 300 km/h sur une musique
glaciale, dégouté par les actes de cet homme et
les paroles crues qui les commentent (ce pourrait être
nous…), tortillé par certaines images presque documentaires
(la fille qui saigne par la carotide). Un film qui défoule
et fait réfléchir, un film maitrisé, sombre
mais énergique.