"T'as d'beaux yeux tu sais."
Le noir et blanc le plus épais, le plus brumeux, le plus
délectable du cinéma. Un brouillard qui trouble
la vue pour mieux mettre en avant les hommes, les âmes,
les idées. Sublimé à chaque plan par la
caméra de Renoir.
Quai des brumes c'est avant tout des dialogues
empreints d'une poésie sublime et redoutable, des mots
qui génèrent des images et des sensations, des
mots qui ne cessent de résonner au plus profond de nous.
Rien que pour ses belles pensées et sa non moins brillante
répartie, le film est un incontestable chef d'oeuvre.
Qui plus est lorsqu'ils sont déclamés par une
brochette d'acteurs légendaires, se fondant à
la personnalité de chacun d'entre eux : la grande gueule
de Gabin, les yeux de biche de M. Morgan, le phrasé typique
de M. Simon et la méchanceté grimaçante
de P. Brasseur.
Avec son sujet provocateur, suggéré mais essentiel,
avec ses séquences bouleversantes, ses drames sous-jacents,
ses protagonistes aux liens qui se resserrent, Quai
des brumes nous harponne sans aucun mal. Et puis sa
musique se fait lancinante, mélancolique, quand l'empathie
des choeurs ne prend pas le dessus ; et ses décors ravissent
nos yeux embrumés.
Le quai des brumes fait partie de ses petits
miracles cinématographiques, délivrant de cette
espèce de magie qui ne s'altère jamais avec le
temps. Bien au contraire.