Le Mal incarné. L'innocence imagée.
                  "Hate" : un faux prêtre assassine ceux qui n'entrent 
                  pas dans les canons de la Sainte Bible. Et les veuves.
                  "Love" : deux jeunes enfants emportés tant 
                  bien que mal dans le tourbillon d'une vie agitée par 
                  la grande pauvreté et tout ce qu'elle engendre.
                  Il fallait oser ce grand écart cinématographique 
                  dans les années 50, il fallait entreprendre ce genre 
                  (le thriller, mais pas n'importe quelle thriller...), il fallait 
                  envisager cette thématique religieuse, il fallait produire 
                  ce film au style sans commune mesure. On imagine à quel 
                  point ce devait être une oeuvre dure pour l'époque 
                  (pas sortie aux USA ?), le piège se refermant violemment 
                  sur deux pauvres enfants, ne les épargnant jamais, l'homme 
                  de Dieu incarnant le Mal à l'état pur dans une 
                  société profondément religieuse. C'est 
                  également une réflexion sur le pouvoir malfaisant 
                  de l'argent, la pauvreté dans un contexte historique 
                  difficile. La lutte éternelle du Mal contre le Bien ou 
                  quand l'expression "La beauté du Diable" n'a 
                  jamais été aussi bien interprétée.
                  Mais développons un peu.
                  Ce qui surprend de prime abord dans ce film c'est que l'histoire 
                  n'est absolument pas racontée de manière classique, 
                  linéaire, et on ne sait encore trop qui en sera le héros. 
                  Il y a ensuite, et constamment, un parfum de souffre qui souffle 
                  sur le scénario : depuis la description de ces mauvaises 
                  gens (le père -excusable-, le pasteur) jusqu'au coeur 
                  de ces histoires de foi excessive. Il y a également une 
                  multiplication des personnages (le véritable héros 
                  s'avèrera être un enfant) et surtout des points 
                  de vue ; les enfants sont ici les détenteurs d'une vérité 
                  trop lourde pour leurs fragiles épaules, les adultes 
                  restant aveuglés par le costume de ce bonimenteur hypocrite, 
                  pervers et dangereux. 
                  Vous le comprendrez aisément : La nuit du chasseur 
                   est un film d'une immense richesse, au scénario 
                  quasi métaphorique et possédant divers niveaux 
                  de lecture dont le plus moderne pourrait très bien s'apparenter 
                  à une réflexion sur l'extrémisme religieux 
                  : le personnage principal n'est qu'un usurpateur, paré 
                  d'une solide coquille pseudo-religieuse dont il se sert pour 
                  commettre le pire (le meurtre, l'enrichissement par tous les 
                  moyens...etc) ; contrebalancé bien évidemment 
                  par la vieille dame de la fin qui devient la représentation, 
                  l'essence même de la religion (donner son temps aux orphelins, 
                  protéger les pauvres et les innocents,...etc).
                  Dans cette Nuit du chasseur la violence du 
                  récit heurte inévitablement le spectateur : la 
                  force de l'âge adulte contre la faiblesse de l'enfance, 
                  l'intelligence et l'expérience contre l'immaturité 
                  et la naïveté (l'adolescente attirée par 
                  cette incarnation du Mal), le machiavélisme contre la 
                  candeur. A noter également l'utilisation d'un autre symbole 
                  fort de l'innocence : les animaux. Ce Mal, qui plus est, prend 
                  le visage d'un Robert Mitchum totalement imbibé par son 
                  rôle, pour un suspens diablement efficace et des séquences 
                  extrêmement tendues. Sans oublier cette chanson presque 
                  obsessionnelle, proprement divine. 
                  Et puis, bien sûr, ce que l'on garde gravé en nos 
                  mémoires, ce qui fait définitivement basculer 
                  le film dans le domaine du chef-d'oeuvre, c'est le travail de 
                  C. Laughton, unique incursion dans ce domaine de la part de 
                  ce fameux acteur. Un véritable travail de peintre basé 
                  sur la profondeur de champ, les ombres sans cesse portées 
                  et la beauté significative des images ; images dont la 
                  photographie flamboyante participe à cette ambiance inquiétante 
                  et menaçante. Aidé de ces lumières et de 
                  ces ombres jouant avec le noir et blanc, de cette caméra 
                  en perpétuelle recherche et de la beauté et du 
                  sens. Il y a des plans nocturnes de toute beauté, d'une 
                  beauté formelle rarement égalée : les scènes 
                  crépusculaires sur le lac sont proprement extraordinaires, 
                  notamment grâce à l'emploi de contre-jour et l'utilisation 
                  judicieuse des décors. 
                  On ne vous a jamais aussi bien raconté l'histoire du 
                  Bien et du Mal. A la fois effrayant et envoûtant : j'emmettrai 
                  seulement certaines réserves sur le jeu de S. Winters... 
                
                NOTE : 19-20 / 20