Pourquoi est-ce que Million dollar baby est un très grand film
? Parce qu'il renoue avec l'essence même du cinéma, sans
effets tapageurs, sans larmes forcées et inutiles, sans grosses
ficelles un peu faciles. Seulement avec une galerie de personnages qui
se mettent à vivre devant nos yeux, des personnages à
la personnalité forte, écrits avec justesse, sans fioritude
ni déjà-vu, des personnages qui possèdent ce que
tout un chacun possède : un passé, une histoire, un chemin
jalonné de vie, tangible et touchant à la fois car il
nous ressemble d'une façon ou d'une autre. Les acteurs n'avaient
plus qu'à les magnifier de leur intéprétation et
à véhiculer jusqu'à nos coeurs ces tranches de
vie ; et ils le font à merveille. Et puis il n'y a pas de personnages
vraiment secondaire car chacun d'entre eux possèdent une espèce
de double ; un double comme le boxeur sur le ring, un double lié
par une même histoire (l'entraineur et son homme à tout
faire), un double opposé (la boxeuse qui réussi / le boxeur
raté).
C'est un très grand film parce que son scénario n'a rien
d'un itinéraire initiatique classique (d'ailleurs le sujet est
tout ailleurs : le rêve professionnel et son achèvement),
il nous entraine à travers différentes voix grâce
à ces mêmes personnages, ciment de l'histoire. Un scénario
au carrefour de plusieurs histoires, mais des histoires qui se complètent
et se répondent ; la vie professionnelle ratée de l'un
dont il rejette le désir sur la fille qu'il n'a plus (combien
de footballeurs manqués rêve de voir leur fils faire mieux
qu'eux ?) ; la chance de voir autrui embrasser le rêve d'une vie
quand son propre rêve s'est brisé ou que notre vie s'est
perdue dans les méandres d'une réalité alimentaire
; retrouver l'amour perdu d'un enfant et lui en faire la plus belle
preuve. La boxeuse réussira, on le sait, mais le scénario
ne fait que nous préparer à un final bouleversant. Et
puis la réussite ne viendra pas, comme dans tout film de boxe
lambda, d'un titre, d'une consécration suprême, mais bel
et bien du fait de se trouver là où elle à toujours
rêver d'être. Le final est aussi surprenant que fort, s'inscrivant
tragiquement dans la logique de ce même rêve, certaines
phrases résonnant étrangement ("Maintenant que j'ai
goûté au paradis, je peux mourir", dit Eastwood en
ingurgitant une tarte au citron). Nous n'en diront pas plus dans ces
quelques lignes sinon que le drame est d'une puissance ravageuse, traité
sans mélo aucun (la mort se fait sans éclat mais par amour),
dignement, intelligemment, comme un sous-sujet du film tenant particulièrement
à coeur de son réalisateur ; sans débat aucun.
Bref, du vrai cinéma, qui ne s'arrête pas aux seuls sens
visuels mais va droit au coeur et au cerveau pour y laisser une empreinte
indélébile, celle d'un drame humain : la vie. Tout simplement.
Son réalisateur laisse champ libre à son sujet sans pour
autant délaisser son travail de metteur en scène (les
ombres / lumières). Le meilleur d'Eastwood, assurément