Tout d’abord, à la vision de ce film, il me semble
nécessaire de souligner que Tati a du effectuer un travail
de longue haleine, tant scénaristiquement qu’artistiquement
; jugez-en :
- Une réalisation diaboliquement précise, usant
très intelligemment des champs / contre-champs (la scène
où le poteau est planté), des changement d’angulation
soulignant à merveille le moindre de ses gags ; à
noter, mais je vais en reparler, l’utilisation de plusieurs
champs visuels pour l’élaboration d’effets
comiques (la Jeep des américains s’en allant dans
les champs à l’arrière plan d’un facteur
causant sans nulle préoccupation…)
- Un scénario formidablement riche, usant des gags à
outrance s’en pour autant verser dans la gratuité
où l’abus. En clair : de nombreuses visions de
l’œuvre sont nécessaires à l’accès
des divers niveaux comiques, filant en trombe. De quoi l’analyser
de façon générale, par scène ou
encore plan par plan. Alors quels sont les types d’humour
employés ? Premièrement la tradition du slapstick
américain (peut-être le seul défaut du film
: trop systématique pour être un hommage). Deuxièmement
le comique de situation, très personnel et d’une
originalité unanime (pour le cinéma comme pour
nous). Troisièmement le comique auditif avec le magnifique
exemple du début (les chevaux du manège qui hénissent…
en fait deux vrais chevaux cachés par une charrette.
Quatrièmement le comique de geste emprunté au
cinéma muet (les gesticulation ample de Tati).
- Mais ce que les critiques ont presque tous oubliés
c’est que ce film n’est pas seulement un film comique
: c’est aussi un véritable documentaire sociologique
très « vrai » et attendrissant ; dans le
style, mais la comparaison s’arrête là, de
Farrebique de Rouquier.
- Ne nous étendons pas trop sur le montage, il nécessite
de nombreuses visions et semble être totalement intégré
aux effets de réalisation. Par exemple le montage analytique
rompant la discussion du facteur avec les fermiers à
la suite de son exploit avec le poteau (plan général
éloigné pour laisser l’espace au comique
de geste. Plan à 60°, plus rapproché, face
à la sortie scénique du facteur).
- Pour ce qui est du montage sonore, n’oublions pas que
la force des films de Tati, comme on l’a vu, est basé
sur les silences. Reconnaissez sa signature lors des gags utilisant
cet effet et dans les dialogues impliquant le facteur (Voir
la saga de « L’oncle »).
D’ailleurs la plus belle scène du film restera
ce jeu de regard et de geste entre le forain tombant amoureux
d’une belle, le tout sur les dialogues d’un film
américain. Tati fait ici une véritable analyse
du cinématographe : celui-ci donnant naissance aux pensées
par l’image… ce que parodie l’auteur avec
ce rajout inopportun de son. Certainement un autre hommage…
Pour conclure on peut dire que ce film jette les bases des parodies
à l’américaine tout en redonnant vie au
comique Outre-Atlantique. Il y a déjà tout ce
que fera la gloire des ZAZ et ce qui a fait celle d’un
Chaplin, d’un Keaton (parodie, gags sur deux plans ; surabondance
et entrecroisement, non-sens…) ou, plus proche de tati,
d'un Max Linder. Bref : c’est un petit chef-d’œuvre,
la syntaxe parfaite entre le film populaire (n’importe
quel spectateur lambda le comprendra de A à Z) et le
film d’auteur (de quoi donner analyse aux analystes).
L’œuvre dont rêve tout bon réalisateur.